Il ne s’agit pas d’un texte biblique mais ça y ressemble fort. Au lieu de la multiplication des pains, c’est la multiplication des génomes des plantes que propose l’Université de Tel Aviv pour résoudre la faim dans le monde. En effet, selon une recherche menée par les Dr Itay Mayrose, Ayelet Salman-Minkov et Niv Sabath du laboratoire sur l’évolution et la bio-informatique des plantes à l’Université de Tel Aviv, le succès de la domestication des plantes comme le blé ou le café est lié aux duplications du génome qui se produisent dans leurs cellules végétales. Une corrélation qui, compte tenu des progrès actuels de la génomique, offre un nouvel espoir pour l’agriculture moderne et l’alimentation de l’humanité.
L’étude de l’Université de Tel-Aviv propose une explication innovante du processus de domestication des espèces agricoles, des siècles après la dernière domestication réussie d’une espèce végétale. La domestication des espèces, c’est-à-dire l’adaptation des espèces sauvages aux besoins humains, a progressivement amené l’apparition de plantes résistantes aux maladies et aux intempéries, possédant une durée de vie prolongée. Ces objectifs deviennent de plus en plus importants avec la croissance de la population et la baisse de quantité des ressources naturelles disponibles.
Depuis le début de la révolution agricole, il y a 13000 ans, l’homme a tenté de cultiver et d’entretenir une énorme variété de plantes pour ses besoins, mais seules quelques-unes ont pu être domestiquées avec succès pour l’agriculture. Depuis des siècles, en dépit de toutes les réalisations scientifiques et technologiques, l’homme n’est parvenu à domestiquer aucune nouvelle espèce.
La clé de la domestication des plantes : la multiplication des copies de leur génome
D’après la nouvelle étude, les plantes domestiquées avec succès, comme le blé, les pommes de terre, le café ou le sucre, sont plutôt des plantes polyploïdes, c’est-à-dire qui possèdent un patrimoine chromosomique au moins égal au double de la normale.
La plupart des mammifères, y compris les humains, sont « diploïdes », ce qui signifie que leurs chromosomes sont présents par paire. Le génome humain, par exemple, se compose de 23 paires de chromosomes. L’information génétique se trouve dans toutes les cellules du corps humain à l’exception des cellules sexuelles qui contiennent un seul jeu de chromosomes. Mais de nombreuses plantes sont polyploïdes, ce qui signifie qu’elles comportent de multiples copies du génome entier.
« Dans les plantes polyploïdes nous trouvons des groupes de quatre, six et même huit chromosomes« , explique le Dr. Mayrose. « Depuis un siècle les chercheurs tentent de comprendre la signification de ce phénomène sur le plan de l’évolution, mais en dépit de nombreuses spéculations et recherches, la question de la polyploïdie reste ouverte sur le plan scientifique. Nous ne comprenons pas clairement les avantages évolutifs de la transmission de copies supplémentaires de l’information génétique, ni pourquoi les plantes investissent l’énergie nécessaire à cette reproduction génomique pour leur survie« .
Le Dr. Mayrose et son équipe ont déjà montré par le passé que les plantes polyploïdes reproduisent leur information génétique en réponse au stress, essentiellement le stress environnemental. « Lorsque qu’une plante est danger, elle reproduit ses chromosomes » explique le Dr. Mayrose. « Les chromosomes supplémentaires permettent d’élargir la gamme de l’héritage génétique, puisque chaque copie du gène peut se différencier en sous-fonctions différentes. C’est une tentative désespérée de la plante, qui dans la plupart des cas échoue, d’adapter ses descendants à l’environnement« .
Pourtant, il s’avère que dans un cas au moins, cette stratégie est payante : dans celui de la domestication humaine. Le laboratoire informatique du Dr. Mayrose a construit une base de données d’une infinité de groupes de plantes et de leurs données génomiques, et développé un algorithme de calcul capable d’identifier les plantes qui ont subis une duplication génétique au cours de leur évolution depuis 20 millions d’années, c’est-à-dire sont devenues polyploïdes.
Un outil pour domestiquer de nouvelles espèces
« Lorsque nous avons croisé toutes ces données avec la liste de plantes que l’homme a domestiqué, nous avons trouvé une connexion claire« , explique le Dr. Mayrose. « 30% des espèces domestiquées par l’homme ont subi une duplication de leur génome, incidence significativement plus élevée que celle des plantes dans la nature. C’est vrai pour les plantes telles que le blé, la pomme de terre, la patate douce, le café, le sucre, les arachides, les fraises, le coton, le tabac, et la liste est longue « .
Selon les chercheurs, ces résultats jettent une lumière nouvelle sur la révolution agricole. « La multiplicité des chromosomes de ces végétaux a permis à l’homme de jouer avec les caractéristiques de la plante et d’en tirer le meilleur pour leurs besoins. Bien sûr, cela ne signifie pas que nos ancêtres étaient capables de distinguer entre les plantes ayant subi une duplication génomique et les autres. L’homme a tenté de domestiquer les plantes au hasard, et ces expériences ont réussi le plus souvent avec les plantes polyploïdes. Ou peut-être est-ce juste le contraire: ce sont peut-être justement les tentatives de domestication par l’homme qui ont provoqué un stress environnemental sur les plantes, qui les a conduits à un doublement du génome et a permis à l’homme d’en jouer avec succès. Nous ne savons toujours pas quelle est la cause et quelle est la conséquence« .
En plus des conclusions historiques, la nouvelle étude du Dr. Mayrose et son équipe a également des implications pour l’avenir de la domestication, et peut-être l’avenir de l’alimentation humaine. « Au cours de ces derniers siècles, nous n’avons réussi à domestiquer aucune nouvelle espèce. Notre recherche suggère qu’on peut ajouter un nouvel outil à la domestication moderne: la duplication génomique. Aujourd’hui, nous savons dupliquer le génome et faire en sorte que les plantes devenir polyploïdes artificiellement, ce qui signifie qu’il sera possible de domestiquer de nouvelles espèces et d’améliorer les plantes domestiques« .
Publication dans Nature Plants, 1er août 2016
Dr Sivan Cohen-Wiesenfeld, rédactrice de recherche pour AFAUTA, Association des amis français de l’Université de Tel Aviv