Nous parlons souvent d’électrons circulant à travers les matériaux, mais en fait, ils ne se déplacent pas normalement comme pour un liquide. Un tel flux d’électrons « hydrodynamique » était néanmoins depuis longtemps prédit, et les physiciens de l’Institut Weizmann des Sciences ont récemment réussi, à l’aide d’une technique unique à procéder à l’imagerie des électrons s’écoulant de la même manière que l’eau à travers un tuyau.
C’est la première fois qu’un tel flux d’électrons liquides est visualisé, et les implications sont essentielles pour les futurs appareils électroniques.
Les électrons se déplacent généralement à travers des conducteurs plus comme un gaz qu’un liquide. Autrement dit, ils n’entrent pas en collision les uns avec les autres, mais plutôt, ils ont tendance à rebondir sur les impuretés et les imperfections du conducteur. L’écoulement d’un liquide, en revanche, prend sa forme – que ce soit des vagues ou des tourbillons – à partir de collisions fréquentes entre les particules dans le liquide.
Pour faire couler les électrons comme un liquide, il faut un autre type de conducteur, et l’équipe s’est tournée vers le graphène, qui est une feuille de carbone d’une épaisseur d’un atome, et qui peut être rendu exceptionnellement propre. « Les théories suggèrent que les électrons liquides peuvent effectuer des exploits extraordinaires impossibles pour leurs homologues non liquides. Toutefois pour obtenir une preuve claire que les électrons peuvent en effet former un état liquide, nous avons voulu visualiser directement leur flux », a déclaré le professeur Shahal Ilani, chef de l’équipe du département de physique de la matière condensée de l’Institut.
Pour imaginer le flux d’électrons, les chercheurs devaient développer une technique qui serait à la fois assez puissante pour scruter l’intérieur d’un matériau, mais assez souple pour éviter de perturber le flux. L’équipe Weizmann a créé une telle technique, leur méthode consiste en un détecteur à l’échelle nanométrique construit à partir d’un transistor à nanotubes de carbone capable d’effectuer une imagerie des propriétés des électrons en mouvement avec une sensibilité sans précédent. « Notre technique est au moins 1000 fois plus sensible que les méthodes alternatives ; cela nous permet d’effectuer une imagerie des phénomènes qui auparavant ne pouvaient être étudiés qu’indirectement », a déclaré le Dr Joseph Sulpizio de l’équipe Weizmann.
Les chercheurs de Weizmann ont appliqué leur nouvelle technique d’imagerie à des dispositifs de graphène de pointe produits par le groupe du professeur Andre Geim à l’Université de Manchester. Ces dispositifs étaient des « canaux » à l’échelle nanométrique conçus pour guider les électrons en circulation. L’équipe a observé la signature caractéristique de l’écoulement hydrodynamique : tout comme l’eau dans un tuyau, les électrons dans le graphène ont circulé plus rapidement au centre des canaux et ont ralenti au niveau des parois.
Cette démonstration – qui sous de bonnes conditions, permet aux électrons d’imiter les schémas d’un liquide conventionnel – peut s’avérer bénéfique pour la création de nouveaux types d’appareils électroniques, y compris ceux de faible puissance dans lesquels le flux hydrodynamique abaisse la résistance électrique. « Les centres informatiques et l’électronique grand public dévorent une quantité d’énergie toujours croissante, et il est impératif de trouver des moyens de faire circuler les électrons avec moins de résistance », a déclaré le Dr Lior Ella, également de l’équipe Weizmann.
Le groupe expérimental de Weizmann comprenait également Asaf Rozen et Debarghya Dutta. Les dispositifs en graphène ont été produits par John Birkbeck, le Dr David Perello et le Dr Moshe Ben-Shalom du groupe du Prof. Andre Geim de l’Université de Manchester. Des calculs théoriques et des simulations informatiques à l’appui des expériences ont été effectués par le Dr Thomas Scaffidi, le Dr Tobias Holder, le Dr Raquel Queiroz, le Dr Alessandro Principi et le Prof. Ady Stern.
Publication dans Nature Nanotechnology,