Membre de l’Académie des Sciences, directeur de recherche émérite au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, le climatologue et glaciologue Jean Jouzel est signataire d’un Appel pour un pacte finance-climat européen. Vice-Président du groupe de travail scientifique du GIEC de 2002 à 2015, il lance un cri d’alarme au monde politique pour sauver la planète. Interview de Yael Scemama pour Actualité Juive.
Actu J – Vous appelez à un sursaut et à une action politique forte sur les questions environnementales. Pourquoi ?
Jean Jouzel – Notre texte implique les principaux facteurs qui sont à l’origine du réchauffement climatique, du déclin de la biodiversité, de la déforestation, de la pollution de l’air, du sol et de l’eau et il appelle le gouvernement à prendre des mesures concrètes pour que ces perturbations ne deviennent pas encore plus importantes dans le futur. Cet appel est un choix politique né de la décision de Nicolas Hulot de démissionner. Mais c’est avant tout à Emmanuel Macron de décider si l’environnement est important ou non pour la France. Cette idée est dans les discours, mais elle n’est pas dans notre vie de tous les jours. L’Etat doit aujourd’hui manifester son engagement au-delà des paroles et des mots.
Actu J – Nicolas Hulot avait qualifié son ministère de « ministère de l’impossible ». Comment favoriser la transition écologique qui s’inscrit dans un temps long ?
Jean Jouzel – On dit que le temps politique est un temps court mais des décisions peuvent être prises rapidement notamment en matière de pollution. Il est sûr que le réchauffement climatique a des conséquences sur le temps long mais l’action peut être immédiate, dès maintenant, ne serait-ce que pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. C’est trop facile de dire c’est le temps long et on verra quand les catastrophes seront là. C’est maintenant, au cours du mandat d’Emmanuel Macron qu’on doit prendre des mesures pour éviter un réchauffement à plus de 3°. J’ai côtoyé tous les ministres de l’environnement depuis vingt ans. ils se sont appliqués un par un dans leur ministère et ont compris qu’il fallait prendre des mesures rapidement. Mais ils n’ont jamais vraiment eu de soutien du gouvernement. Aujourd’hui, il n’y a pas de surprise. Nous suivons les trajectoires envisagées il y a trente ans avec une augmentation des températures. Il faut prendre au sérieux les prévisions de la communauté scientifique à l’horizon des années 2050. Si rien n’est fait aujourd’hui, nous allons vers un monde intenable.
Actu J – Dans quelle proportion l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est-elle due à l’activité humaine et que faire?
Jean Jouzel – L’essentiel du réchauffement climatique de ces cinquante dernières années est dû à l’activité humaine. On connait l’impact des produits phytosanitaires mais on continue. Il faut absolument changer notre mode de développement. Le crédo de l’OMC est de maximiser les échanges entre les pays alors qu’il faudrait plutôt relocaliser les échanges et retrouver une certaine sobriété. Cela vaut dans tous les des domaines mais on voit bien que ce n’est pas si simple. Dans le transport aérien, si on taxe le kérosène, cela induira un changement de stratégie des compagnies low cost. Ce qui est important et que nous disons avec Pierre Larrouturou dans notre livre*, c’est qu’un changement de mode de développement n’est pas synonyme de perte économique, au contraire. Le dynamisme d’un pays se joue sur sa capacité à prendre le leadership sur la question environnementale. Et qu’on ne nous dise pas que ce monde différent serait moins attractif, il le serait, y compris en termes de création d’emplois et de croissance économique.
Copyright Yael Scemama pour Actualité Juive
En savoir plus :
– Nous voulons des coquelicots : Le livre-manifeste de Fabrice Nicolino et François Veillerette (président de Générations Futures) contre les pesticides. 8 euros. Sortie le 12 septembre 2018
– Jean Jouzel se rendra à la COP 24 (3-14 déc. 2018 à Katowice, Pologne) au cours de la dernière semaine de négociations, mais, indice de son découragement, il laisse entendre que cela sera peut-être la dernière fois. Même s’il continuera inlassablement à promener son bâton de pèlerin du climat à travers la France et l’Europe… (Altermonde sans frontières)
– Pour éviter le chaos climatique et financier, Jean Jouzel, Pierre Larrouturou, Editions Odile Jacob
Jean Jouzel est Prix Nobel de la Paix en 2007 et Médaille d’or du CNRS en 2002.
Pionnier dans l’analyse des changements climatiques à propos desquels il n’a cessé tirer la sonnette d’alarme, Jean Jouzel est un célèbre climatologue et glaciologue français. Après des études de chimie à l’École Supérieure de Chimie Industrielle de Lyon, sa thèse lui ouvre les portes du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux énergies alternatives (CEA) au sein duquel il est toujours directeur de recherches. Scientifique reconnu grâce à ses nombreux articles dans les plus prestigieuses revues, il acquiert sa notoriété auprès du grand public grâce à son rôle au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Expert depuis 1994, il en prend la Vice-Présidence en 2002, contribuant aux rapports dont l’expertise et le rôle majeur en faveur de la planète ont été récompensés par l’obtention du Prix Nobel de la Paix en 2007. Parmi ses travaux, les plus salués par ses pairs sont issus de ses forages en Antarctique et au Groenland qui lui ont permis d’étudier l’évolution du climat terrestre. Les recherches de Jean Jouzel ont permis de démontrer que l’Homme a influencé le climat et contribué à son réchauffement, menaçant aujourd’hui l’ensemble de la planète. Selon lui, l’augmentation de l’effet de serre est liée pour 80 % à notre consommation de combustibles fossiles depuis les années 1960. Son rapport alarmant sur le réchauffement climatique en France a permis d’aiguiller le récent projet de loi sur la transition énergétique à l’assemblée nationale et en fait une figure incontournable pour préparer la COP 21 qui se tiendra en décembre à Paris.