Alors que l’ONU vient d’annoncer que 2019 restera comme l’une des trois années les plus chaudes enregistrées depuis 1850 et qu’elle conclue une décennie « de chaleur exceptionnelle », le bilan annuel que vient de publier le Global Carbon Project (GCP) n’est pas fait pour rassurer. Le Global Carbon Atlas montre les tendances du cycle global du carbone et l’estimation 2019 des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) fossile. Les émissions mondiales de CO2 devraient augmenter de 0,6% en 2019 (fourchette : -0,2% à +1,5%) en raison d’une baisse de l’utilisation du charbon, compensée par la croissance de l’utilisation du gaz naturel et du pétrole. L’utilisation de gaz naturel est le principal facteur qui explique cette croissance depuis 2012. Cette croissance continue des émissions entraîne une augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère. En 2019, les émissions de l’UE (28 membres) et des États-Unis diminuent lentement, tandis que les émissions de la Chine et de l’Inde continuent de croitre. Les émissions de CO2 devraient être 4% plus élevées en 2019 par rapport à 2015, date des Accords de Paris.
Le Global Carbon Atlas est conçu pour visualiser les données fondamentales du cycle du carbone perturbé par les activités humaines. « Israël a connu une légère baisse des émissions de CO2 et passe de 65 Mt en 2017 à 64 Mt en 2018. Des émissions qui restent modestes pour ce pays d’une surface de 22000 km2 (Picardie 19400 km2, Lorraine 23600 km2), comparés aux 468 Mt de l’Afrique du sud, aux 600 Mt de la France, aux 10065 Mt de la Chine ou aux 5416 Mt des Etats-Unis », commente Esther Amar, fondatrice et directrice de Israël Science Info.
« Il est urgent de redoubler d’efforts pour rester sous la barre des bien en dessous de 2°C fixé dans l’Accord de Paris » explique Philippe Ciais, chercheur au LSCE – Institut Pierre Simon Laplace. Les engagements mondiaux pris à Paris en 2015 en matière de réduction des émissions ne sont toujours pas accompagnés d’actions suffisantes et ce malgré les discours politiques et la croissance rapide des énergies renouvelables encore insuffisante pour réduire les émissions mondiales. « Avec l’augmentation actuelle des émissions, atteindre cet objectif de rester bien en dessous des 2°C devient un défi extraordinairement difficile à relever » poursuit le chercheur.
Les hauts et les bas du charbon, l’émergence du gaz naturel et la croissance continue du pétrole. Les émissions mondiales de CO2 d’origine fossile (combustibles fossiles, industrie et ciment) ont augmenté de plus de 3% par an dans les années 2000. Puis leur croissance s’était ralentie depuis 2010 pour s’établir à en moyenne 0,9% par an. Entre 2014 et 2016, les émissions n’avaient que légèrement augmenté. Ensuite elles sont reparties à la hausse en 2017 (1,5%) et en 2018 (2,1%). Une légère croissance est à nouveau attendue en 2019 (0,6%).
L’utilisation de charbon aux États-Unis et dans l’UE28 a diminué
« Courant 2019, les prévisions annonçaient une augmentation mondiale de l’utilisation du charbon. Mais du fait des performances économiques de la Chine et de l’Inde, plus faibles que prévues, nos estimations de la croissance de leurs émissions pour 2019 ont été revues à la baisse » explique Robbie Andrew à CICERO en Norvège, qui a analysé les données d’émission pour le Global Carbon Project (GCP). L’utilisation de charbon aux États-Unis et dans l’UE28 a considérablement diminué, jusqu’à 10% dans les deux régions en 2019, contribuant à la réduction des émissions liées au charbon dans le monde. Comparé au charbon, le gaz naturel est un combustible fossile considéré comme plus propre. Même si l’utilisation du gaz en substitution du charbon peut entraîner des réductions d’émissions à court terme, le CO2 produit par le gaz naturel continue à réchauffer le climat. Il est donc impératif de réduire l’utilisation de tous les combustibles fossiles pour atteindre des objectifs climatiques ambitieux.
En ce qui concerne les émissions mondiales liées au pétrole, elles ont continué à augmenter à un taux de 1,2% entre 2017 et 2018. Les émissions de l’UE28 et des États-Unis diminuent lentement. Les émissions américaines ont diminué de 1,1% par an depuis le sommet atteint en 2005, et cette tendance se poursuit en 2019 avec une diminution de -1,7% (plage: -3,7% à +0,3%). Cette diminution s’explique par une réduction de 10% des émissions résultant de l’utilisation du charbon auquel s’est substitué du gaz, de l’énergie éolienne et solaire. Les émissions résultant de la baisse de l’utilisation du charbon (-10%) et de l’utilisation du pétrole (-0,5%) ont été partiellement compensées par l’augmentation de l’utilisation du gaz naturel (+3,5%). Les émissions de CO2 dans l’UE28 ont régulièrement diminué de 1,4% par an sur la dernière décennie. La baisse en 2019 devrait être de -1,7% (plage de -3,4% à +0,1%). Malgré le recul prévu de l’utilisation du charbon d’environ 10%, la croissance de l’utilisation du pétrole et du gaz naturel rendra la réduction des émissions de l’UE en 2019 inférieure à celle de 2018 (-2,1%). En France Les émissions ont diminué de 2,5% en 2018 par rapport à 2017.
Les émissions de CO2 fossile n’ont pas bougé
En 2018, les émissions de CO2 fossile de la consommation de pétrole n’ont pratiquement pas changé et celle du gaz naturel est en légère diminution par rapport à 2017. La part de l’énergie renouvelable, hydraulique et nucléaire est à peu près égale à celle des combustibles fossiles dans la consommation d’énergie au cours des dix dernières années.
« En France, les émissions de gaz à effet de serre (CO2 et autres gaz[1]) hors « utilisation des terres, changements d’affectation des terres, et la forêt » ont connu une relative stagnation entre 1990 et 2005, suivi d’une période de diminution régulière entre 2005 à 2014 (-2,2% par an en moyenne) influencée également par la crise financière mondiale de 2008. Après une légère remontée des émissions en 2015, 2016 et 2017 (+0,7% par an en moyenne), les émissions 2018 de la France affichent une baisse notable (-4,2% par rapport à 2017) liée notamment à une meilleure disponibilité du parc nucléaire et un hiver plus doux en 2018 comparé à 2017. Bien d’autres facteurs structurels et conjoncturels, selon les secteurs d’activité, interviennent dans les évolutions des émissions de CO2 au fil des ans. Au global, les émissions de la France ont diminué significativement entre 2005 et 2018 (-19,8%, soit -1,6% par an en moyenne). Les consommations globales d’énergies fossiles en France pour 2019 sur les 9 premiers mois de l’année sont en baisse de l’ordre de -1% par rapport à 2018 sur la même période des 9 premiers mois : cela est un bon signal pour l’évolution des émissions de la France en 2019, qui restera à préciser après disponibilité des données complètes relatives à l’année 2019 ainsi qu’aux émissions non énergétiques » explique Jean-Pierre Chang du CITEPA. Croissance des émissions chinoises et indiennes.
La croissance chinoise ayant été plus faible que dans les années précédentes, une très légère baisse des émissions de CO2 a été enregistrée de 2014 à 2016. Mais en 2017 (1,7%) et en 2018 (2,3%), les émissions de CO2 ont augmenté à nouveau. En 2019, les émissions de CO2 devraient encore augmenter de +2,6% (fourchette de 0,7% à +4,4%). Mais elles auraient pu augmenter encore plus sans une croissance économique plus faible qui a réduit la demande d’électricité.
Pétrole et de gaz continuent de croître en Chine
« La forte augmentation d’utilisation de charbon observée durant les années 2000-2010 s’est arrêtée, mais on ne voit pas encore de signe clair que la Chine sorte d’une économie « charbon ». La Chine continue d’utiliser majoritairement ce combustible, qui contribue à plus de 70% des émissions chinoises de CO2 fossile », déclare Pierre Friedlingstein, professeur à l’Université de Exeter et auteur principal de l’article sur le bilan global de CO2 publié le 4 décembre. « La Chine consomme la moitié du charbon mondial. Et le charbon devrait rester la plus grande source d’énergie et d’émissions de CO2 en Chine sur les prochaines années. »
La demande chinoise en électricité a faiblement progressé en 2019. Si la production d’électricité à partir de charbon n’a pas augmenté c’est qu’elle a été compensée par la croissance des énergies renouvelables et du nucléaire qui ont été en mesure de satisfaire l’essentiel de la demande. Cependant, la forte croissance de la production d’acier, de ciment et d’autres produits industriels à forte intensité de charbon a maintenu la consommation de charbon. L’utilisation de pétrole et de gaz continue de croître rapidement et, ensemble, ils contribuent davantage à la croissance des émissions en Chine que le charbon.
Les émissions de CO2 indiennes ont augmenté de 5,1% par an au cours de la dernière décennie, mais la croissance devrait être beaucoup plus faible en 2019, soit de +1,8% en (fourchette: + 0,7% à + 3,7%) comparé à +8% entre 2017 et 2018. La faible croissance économique a entraîné un ralentissement de la croissance de l’utilisation du pétrole et du gaz naturel. En dépit de ce ralentissement, la production d’électricité a fortement augmenté grâce à la poursuite de l’électrification. Et la croissance de l’utilisation du charbon a été tempérée par une importante mousson et une production hydroélectrique record.
Reste du monde
Les émissions du reste du monde représentent 42%, et elles devraient augmenter d’environ 0,5% en 2019 (de -0,8% à +1,8%), soit beaucoup moins que la décennie précédente. La croissance continue des émissions entraîne une augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère.
Les émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles et de l’industrie atteindront environ 36,8 milliards de tonnes de dioxyde de carbone en 2019, un record. Les estimations préliminaires du changement d’affectation des sols pour 2019 suggèrent une valeur de 6 milliards de tonnes de CO2, soit 0,8 milliards de tonnes de CO2 supérieure à celle de 2018 en raison des incendies de forêt en 2019, principalement en Amazonie mais également en Indonésie.
Les émissions mondiales de dioxyde de carbone résultant de toutes les activités humaines (combustibles fossiles, industrie et changement d’affectation des sols) devraient atteindre 43,1 milliards de tonnes de dioxyde de carbone en 2019 (fourchette de 39,9 à 46,2 GtCO2).
La concentration atmosphérique de CO2 a atteint 407,4 parties par million en 2018 en moyenne et devrait augmenter de 2,2 ppm en 2019 (+1,8 à + 2,6 ppm) pour atteindre environ 410 ppm en 2019. Cette augmentation est proche de la moyenne de la dernière décennie en raison du retour aux conditions neutres d’El Niño, mais supérieure aux décennies précédentes en raison de l’augmentation des émissions de CO2.
Publications scientifiques :
– Friedlingstein et al. (2019) Global Carbon Budget 2019. Earth System Science Data
– Peters G.P., R.M. Andrew, J.G. Canadell, P. Friedlingstein, R.B. Jackson, J.I. Korsbakken, C. Le Quéré, and A. Peregon (2019). Carbon dioxide emissions continue to grow amidst slowly emerging climate policies. Nature Climate Change
– Jackson, R.B., P. Friedlingstein, R. M. Andrew, J.G. Canadell, C. Le Quéré, G.P. Peters (2019). Persistent Fossil Fuel Emissions Threaten the Paris Agreement and Planetary Health, Environmental Research Letters
Le projet Global Carbon Project de Future Earth a pour objectif d’encourager la coopération internationale dans la recherche sur le cycle du carbone. Il produit notamment un rapport annuel comprenant les chiffres des échanges de carbone qui résulte de l’activité humaine, ainsi que leur distribution dans l’environnement. Conçu pour visualiser les données fondamentales du cycle du carbone perturbé par les activités humaines, le Global Carbon Atlas permet une visualisation interactive et donne accès aux données sur les émissions de CO2 fossile et le bilan global du CO2 qui sont publiées et mises à jour chaque année pour par le Global Carbon Project, avec 53 laboratoires de recherche et organisations dans le monde, parmi lesquels en France le CNRM (Météo-France/CNRS et le LSCE. Le Global Carbon Atlas est disponible en cinq langues (anglais, français, espagnol, chinois et russe). Anna Peregon, Patrick Brockmann et P. Peylin du LSCE ont contribué au développement du site en 2019.
Le Laboratoire des sciences du climat et l’environnement (LSCE) est une unité mixte de recherche du CEA, du CNRS, de l’Université de Versailles Saint-Quentin et de l’Université de Paris Saclay. Il est rattaché à la fédération de laboratoires de la région parisienne que constitue l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Le LSCE regroupe environ 300 chercheurs, ingénieurs et agents administratifs et plusieurs dizaines de doctorants. Les recherches du LSCE concernent l’étude de la variabilité des climats du passé, les changements climatiques, les gaz à effet de serre et les transferts dans l’environnement.
Créé en 1961, le Citepa est une association à but non lucratif (loi 1901) experte dans l’analyse, les méthodes et la diffusion des données relatives à la pollution atmosphérique et les gaz à effet de serre. En l’occurrence, le Citepa est missionné par le Ministère en charge de l’Écologie, en tant qu’opérateur d’état, pour réaliser les inventaires nationaux d’émissions conformément aux engagements européens et internationaux. Il effectue également bien d’autres travaux, audits, formations et renforcements de capacités, en France et à l’international. »
Placée sous l’égide de la Fondation de France, la Fondation BNP Paribas est un acteur majeur du mécénat d’entreprise depuis trente ans. Elle coordonne également le développement international du mécénat du Groupe BNP Paribas, partout où la Banque est présente. La Fondation BNP Paribas situe son action dans une démarche de mécénat pluridisciplinaire, en faveur de projets innovants dédiés à la culture, à la solidarité et à l’environnement. Attentive à la qualité de son engagement auprès de ses partenaires, la Fondation BNP Paribas veille à accompagner leurs projets dans la durée. Depuis 1984, ce sont plus de 300 projets culturels, 40 programmes de recherche et un millier d’initiatives sociales et éducatives qui ont bénéficié de son soutien, en France et à travers le monde.
Depuis 2010, la Fondation BNP Paribas développe Climate & Biodiversity Initiative, un programme de mécénat consacré à l’amélioration et la diffusion des connaissances sur le climat et la biodiversité, leurs interactions et en évaluer les conséquences du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité sur notre environnement. Doté d’un budget de 18 millions d’euros depuis 2010, ce programme a permis de financer 27 projets de recherche retenus par un comité scientifique international composé de personnalités reconnues dans leur domaine de recherche (Philippe Gillet, Joanna Haigh, Jean-Pascal Ypersele, Thomas Stocker, Corinne Le Quéré, Franck Courchamp, Sonia Seneviratne et Philippe Cury).
[1] Emissions incluant tous les gaz à effet de serre en CO2 équivalent