L’anémone de mer possède environ 18 000 gènes contre 20 000 chez l’homme, et une bonne partie de ses gènes sont organisés en motifs similaires à ceux des gènes humains correspondants. Derrière son apparente simplicité, un cylindre surmonté de tentacules, l’anémone de mer recèle donc une grande complexité.
Des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Institut Weizmann en Israël (Elad Chomsky, Aviezer Lifshitz, Zohar Mukamel, Amos Tanay, Arnau Sebé-Pedrós) viennent de découvrir plus d’une centaine de types cellulaires différents chez ce petit invertébré marin, et notamment une incroyable diversité de neurones. C’est en réalisant un véritable atlas cellulaire de l’animal que les chercheurs ont pu révéler cette étonnante complexité. Leurs résultats vont alimenter la réflexion sur la façon dont les cellules se sont diversifiées et regroupées sous forme d’organes au fil de l’évolution.
L’anémone de mer Nematostella vectensis a tout pour plaire aux chercheurs – mis à part peut-être ses tentacules urticants. Il s’agit d’un petit invertébré marin facile à maintenir en laboratoire, qui possède un génome suffisamment simple pour en étudier les rouages et suffisamment proche de celui de l’homme pour en tirer des enseignements. « Quand le génome de l’anémone de mer a été séquencé en 2007, on a découvert qu’il était très similaire à celui de l’homme, tant au niveau du nombre de gènes, avec environ 20 000 gènes, que de l’organisation, rappelle Heather Marlow, spécialiste en biologie du développement au sein de l’unité Génomique et épigénomique du développement des vertébrés à l’Institut Pasteur et principale auteure de l’étude. Ces similarités font de l’anémone de mer un modèle idéal pour étudier le génome animal et comprendre les interactions qui se jouent entre les gènes ». Autre point fort : sa position stratégique dans l’arbre du vivant. La branche évolutive des cnidaires à laquelle appartiennent les anémones s’est séparée de celle des bilatériens, autrement dit de la plupart des autres animaux y compris l’homme, il y a plus de 600 millions d’années. « L’anémone peut donc aussi nous aider à comprendre l’origine et l’évolution des multiples types cellulaires qui constituent les corps et organes des animaux, et notamment leur système nerveux », résume Heather Marlow.
Pour tenter d’en apprendre un peu plus sur les anémones de mer, et sur l’ensemble du règne animal, l’équipe de Heather Marlow a décidé d’ausculter ce cnidaire, cellule par cellule. Grâce à une technique innovante, les minuscules cellules de l’animal, qui ne font pas plus d’1 micron de diamètre, ont été isolées une à une, et leur ARN analysé. Car si l’ADN des chromosomes contient l’ensemble des gènes, l’ARN montre ceux-ci en activité. « Le développement d’approches génomiques à l’échelle de la cellule unique permet de répertorier avec une grande précision les différents types cellulaires, mais également d’identifier les gènes responsables du fonctionnement de chacune de ces cellules », décrit Heather Marlow. Au total, et contre toute attente, ce sont plus d’une centaine de types cellulaires différents qui ont été identifiés, regroupés dans huit familles principales de cellules (musculaires, digestives, neuronales, épidermiques, etc.). Et l’une des grandes surprises de ces travaux concerne le système nerveux. En effet, près d’une trentaine de type de neurones différents – peptidergiques, glutamatergiques ou encore insulinergiques – ont été identifiés, révélant un système nerveux et sensoriel d’une relativement grande complexité.
Ces travaux devraient ainsi aider les spécialistes de l’évolution à préciser le portrait de l’ancêtre commun dont dérivent d’une part les cnidaires (anémones) et de l’autre les animaux bilatériens (hommes). Ce dernier devait en effet déjà présenter une certaine complexité cellulaire. Par ailleurs, même si l’anémone semble très différente de nous, elle nous révèle les règles fondamentales qui permettent aujourd’hui à ses cellules comme aux nôtres de remplir autant de fonctions différentes. « La cellule est l’élément de base qui constitue les êtres vivants. En définissant comment les informations codées par le génome déterminent l’identité de chaque cellule, nous espérons mettre au jour les mécanismes conservés entre tous les animaux qui sont essentiels pour leur développement et leur homéostasie », conclut Heather Marlow.
Publication dans le journal Cell, 2018