Selon une récente étude du GIEC (Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat) la région du Moyen-Orient est menacée par une hausse de 2 à 5° des températures et à une baisse de 24% des précipitations d’ici la fin du siècle. Mesurer les conséquences du changement climatique au Moyen-Orient est donc crucial. Un centre météorologique unique, installé au cœur des montagnes de Judée (entre Jérusalem et la mer Morte) au centre d’Israël, en pleine nature, permet de suivre l’évolution des modifications de l’écosystème dans cette zone et les défis à surmonter.
Ce centre d’observation expérimental, sous l’égide du ministère israélien des Sciences et de la Technologie, est situé sur un terrain de 4 hectares et fait partie du réseau mondial de recherche écologique à long terme (LTER). Son originalité est qu’il ne se contente pas d’analyser et de s’intéresser aux évolutions des températures et à leurs conséquences sur la flore et la faune, il s’attache surtout à étudier divers modèles climatiques en fonction des variations de la pluviométrie et leurs effets sur l’écosystème. Il y a 18 ans, quand il a été créé par des scientifiques de l’Université de Tel Aviv, il était le seul au monde à se concentrer sur la pluviométrie. Depuis, d’autres stations dans le monde ont affiché le même objectif, mais il reste toujours le seul au Moyen-Orient.
Les tendances de la pluviométrie sont des paramètres plus difficiles à appréhender que les changements de températures dans les modèles climatiques mis au point par les scientifiques. Ces logiciels très complexes dont le but est de reproduire aussi fidèlement que possible les comportements du climat terrestre dans les prochaines années peuvent prévoir les évolutions de températures mais concernant les précipitations les projections sont loin d’être unanimes. Les scientifiques sont très partagés sur l’évolution de la pluviométrie dans le futur. Mais il y a toutefois un relatif consensus concernant la région méditerranéenne où il est acquis, selon les différents logiciels, que l’on va assister à une baisse de la pluviométrie et à une aridification du climat.
De nombreuses zones au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique vont subir une élévation des températures, souffrir d’un air plus sec et de périodes plus longues et intenses de sécheresse. Une récente étude de la NASA a récemment souligné que la sécheresse a en fait déjà commencé en 1998 et qu’elle est en train de s’intensifier dans la région orientale de la Méditerranée. D’ores et déjà il s’agit de l’épisode de sécheresse le plus intense depuis 900 ans.
Les inquiétudes se multiplient
“Le changement climatique est un défi stratégique pour Israël”, explique le Pr Marcelo Sternberg, à la tête du laboratoire botanique et du département des sciences végétales à l’Université de Tel Aviv. “La convergence des effets du changement climatique, la grave crise environnementale avec la disparition des frontières entre zones urbaines et rurales, sans compter tous les conflits qui minent la région, sont des sources d’inquiétudes pour l’avenir de la zone méditerranéenne. La situation empire et il est urgent de proposer des solutions qui seront mises en place par les pouvoirs publics ».
La pluviométrie dépend de deux paramètres : la quantité d’eau de pluie et la fréquence des précipitations. Des centres d’observation comme celui du désert de Judée sont rares dans le monde et les résultats des expériences qui y sont menées sont pertinents pour Israël, pour l’ensemble de la région et aussi pour le monde entier.
“Les analyses sur le terrain, les projections et nos connaissances sont à la base de prises de décisions. C’est pourquoi il est si important de poursuivre l’étude des conséquences du changement climatique, en observant directement les conséquences sur la nature environnante. Le danger d’une élévation des températures alliée à une baisse des pluies avec de longues périodes de sécheresse va se traduire par une augmentation des incendies de forêts. C’est ce que nous essayons de prévenir, entre autres », souligne Marcelo Sternberg, responsable de ce centre.
La végétation qui entoure le centre d’observation reflète celle de l’ensemble de la région. Les chercheurs simulent plusieurs cas de figure grâce à des abri anti-pluies ou en arrosant davantage la terre avec des systèmes d’irrigation. Les effets de ces manipulations sur les paramètres de pluviométrie sont observés et étudiés ensuite concrètement sur le terrain, sur l’écosystème.
Les chercheurs ont simulé par exemple une baisse de 60% des précipitations, s’apparentant à une sècheresse extrême avec seulement 180 mm de pluies par an et une diminution de 33% (350 mm de pluies par an). Les expériences ont été également menées en jouant sur les fréquences des précipitations avec des épisodes de pluie fréquents (9 de chacun 20 mm) mais de faible intensité contre des passages pluvieux moins fréquents mais de forte intensité (3 précipitations mais chacune de 60 mm).
« Cette année nous avons commencé à étudier l’impact d’une extrême sècheresse sur la faune et la flore de la région. L’expérience va se poursuivre sur les 15 prochaines années au moins. La difficulté est de rassembler suffisamment de données sur une longue période pour faire des projections et en déduire des conclusions pour l’avenir», fait remarquer Marcelo Sternberg.
La diversité des espèces herbacées complique les études des chercheurs. Alors qu’en Europe il y a en moyenne trois à quatre différents types d’herbacées par mètre carré, dans la région on en compte entre 21 à 34 en moyenne par m2. Cette multitude d’espèces rend les expérimentations plus complexes. « Notre objectif est avant tout de concevoir un modèle climatique adapté à cet environnement et ainsi répondre à la question : comment va évoluer l’écosystème dans l’avenir quand il sera confronté à une extrême sècheresse ? », ajoute Marcelo Sternberg.
Le pire n’est pas certain
Car la nature sait s’adapter aux changements. Du moins quand les variations ne sont pas extrêmes. Ainsi les précédentes études menées par Marcelo Sternberg soulignent que, face à une faible baisse de la pluviométrie, l’écosystème de la région a su se montrer relativement résilient. Une surprise pour les experts.
Malgré la moindre pluviométrie actuelle, l’impact est pour le moment neutre sur la végétation. Pourquoi une telle stabilité ? parce que la nature sait s’adapter et on a constaté par exemple que la propagation des graines des plantes en cas de variations climatiques ne se fait plus uniquement par dispersion géographique mais de manière temporelle.
Certaines graines germent après une année alors que d’autres décident de rester « dormantes » dans la terre pendant plusieurs années pour s’adapter à l’imprévisibilité du climat, a observé Marcelo Sternberg. Il en a conclu qu’une sorte de « filet de sécurité », une régulation, se met en route dans l’écosystème dès lors que les conditions climatiques se modifient. D’une certaine manière, l’écosystème s’adapte à la sécheresse et le processus est d’ailleurs déjà en cours.
Mais en cas de variations pluviométrique significatives, la nature réagira différemment et les interrogations demeurent. C’est ce qui risque de se produire car les différents modèles en cours sur les changements climatiques laissent supposer que la baisse des précipitations sera plus importante que prévu, provoquant des hivers moins pluvieux et une pénurie d’eau dans les nappes phréatiques. Avec la nouvelle expérience sur l’extrême sècheresse Marcelo Sternberg espère avoir des réponses plus précises.
Situé entre un écosystème humide et une zone désertique
Conduire ces expériences hors des laboratoires est indispensable pour étudier les impacts réels sur le terrain mais « ces processus sont coûteux à mener en pleine nature. Notre centre est confronté à une réduction budgétaire alors que l’entretien de la station et sa maintenance induisent des coûts toujours plus élevés. L’avenir du centre est incertain », regrette Marcelo Sternberg. « Il nous faut économiser de l’argent. Parfois nous ne sommes pas en mesure de réparer les clôtures qui entourent notre centre et qui ont été franchis et coupés par des promeneurs », fait-il remarquer, ajoutant « ce site est unique et indispensable pour l’étude mondiale des changements climatiques car situé au confluent de deux zones, à cheval entre le désert et un écosystème humide ».
« A quoi vont ressembler ces collines dans quelques années ? Comment l’écosystème va-t-il réagir à une moindre pluviométrie ? » s’interroge-t-il avec inquiétude en regardant le paysage. « Les observations que nous menons dans le désert de Judée peuvent apporter un début de réponse à ces questions et nous permettront, je l’espère, de mieux limiter les effets des changements climatiques ».
Kevin Packer pour l’agence de presse Zavit