Zavit. Un nouveau rapport vient de montrer que malgré leurs déclarations ambitieuses, Twitter et Facebook fonctionnent mal pour supprimer les contenus qui sous-estiment la gravité de la crise climatique et qu’ils contribuent même à sa large diffusion. En Israël, la situation pourrait être particulièrement grave.
A l’hiver 2021, les habitants de Houston, au Texas, ont assisté à un spectacle rare : la neige a recouvert la ville d’un tapis blanc. Mais au fil des heures, alors que la neige continuait de tomber, l’excitation initiale a fait place à la panique. En février de cette année-là, trois violentes tempêtes ont frappé le Texas et, à leur pic, environ cinq millions d’habitants ont été coupés de l’infrastructure électrique aux États-Unis. Selon le ministère de la Santé du Texas, les graves conditions et les pannes de courant, qui ont duré plusieurs jours dans certaines régions, ont coûté la vie à 246 Texans.
Alors que la tempête s’abattait sur le Texas, une autre tempête se déroulait en ligne : un internaute a posté une photo d’un hélico en train de dégivrer une éolienne gelée dans la tempête, laissant supposer que les coupures de courant sont le résultat de l’effondrement des infrastructures d’énergie renouvelable qui alimentent en électricité un quart des habitants du pays.
En quelques heures, des dizaines de milliers d’internautes ont partagé le tweet, et le récit de l’échec de l’énergie verte a été adopté par les milieux de droite américains, les négationnistes du climat et les médias conservateurs. Malgré les déclarations du Texas Energy Board selon lesquelles les centrales électriques alimentées par des combustibles fossiles ont également connu de graves pannes (la diminution de la capacité de production d’électricité des centrales électriques au gaz naturel était 5 fois supérieure à celle des éoliennes) les législateurs locaux ont blâmé uniquement les énergies renouvelables et en ont profité pour critiquer les projets de législation sur le climat. Le cas du Texas est un exemple d’un phénomène généralisé et alarmant.
L’ISD surveille la diffusion de fausses nouvelles
Une nouvelle étude publiée par l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), organisation indépendante à but non lucratif basée à Londres et spécialisée dans l’étude de l’extrémisme social, a surveillé la diffusion de fausses nouvelles sur la crise climatique au cours de la dernière année et demie, et a constaté que Twitter et Facebook ne parviennent pas à supprimer efficacement les fausses nouvelles et contribuent même à leur diffusion auprès d’un large public. Selon l’étude, la propagation de la désinformation sur les réseaux sociaux a augmenté autour de deux événements : les tempêtes de février 2021 au Texas, ainsi que la conférence des Nations Unies sur le climat qui s’est tenue à Glasgow en novembre 2021.
L’échec le plus significatif pointé par l’étude réside dans l’absence d’une définition suffisante des « fake news » dans le domaine climatique. YouTube, Google et Pinterest ont été les seuls à établir une liste de critères distincts pour définir les contenus «négationnistes du climat», et même à les intégrer dans les conditions d’utilisation des plateformes.
En revanche, les immenses réseaux sociaux Facebook, Twitter et TikTok n’ont pas fixé de critère clair pour le déni climatique, et n’ont pas inclus de politique sur le sujet dans leurs conditions d’utilisation. La nouvelle étude propose de définir tout contenu qui remet en question le consensus scientifique sur la gravité de la crise climatique comme de la désinformation, en mettant l’accent sur le contenu qui réduit ou nie le risque existentiel que la crise climatique implique, la contribution humaine à la crise et l’urgence doivent agir conformément aux principes établis dans l’accord de Paris. De plus, selon les chercheurs, les contenus qui présentent des informations scientifiques partiellement ou sans contexte doivent être surveillés, ainsi que les tentatives de « blanchiment » des industries qui contribuent à l’aggravation de la crise.
Plonger dans le terrier du lapin
Ces dernières années, suite à la pression publique, Facebook et Twitter ont créé des centres d’information scientifique destinés à contrer le flot de désinformation. Cependant, la recherche montre que l’implication des internautes dans les faux contenus sur les questions climatiques est jusqu’à cinq fois supérieure à leur implication dans les contenus que les mêmes réseaux qualifient de scientifiquement fiables.
Par exemple, la vidéo la plus regardée sur Facebook de la conférence sur le climat à Glasgow était le discours du légendaire naturaliste et réalisateur de documentaires David Attenborough qui n’a reçu qu’environ 8600 vues. En revanche, une vidéo de Brendan O’Neill, qui était alors rédacteur en chef du magazine politique Spiked (droite américaine), dans laquelle il qualifiait les participants de la conférence de « bande de narcissiques hypocrites », a été vue environ 34000 fois.
Tout au long de la période de recherche, les huit pages dont Facebook fait la promotion dans le cadre de son centre d’information scientifique reçoivent, en moyenne, des taux d’exposition très faibles environ 7500 interactions (vues, likes et commentaires), par rapport aux diffuseurs de fausses informations qui ont reçu environ 92000 interactions.
Bien que la conscience sociale de la gravité de la crise climatique augmente, il existe une petite minorité bruyante qui diffuse des informations erronées à un large public. L’étude a identifié 16 « super-diffuseurs » qui opèrent sur Twitter sans quasiment aucune conséquence, même s’ils ont été signalés à plusieurs reprises comme ceux qui ont enfreint les règles de la communauté. Leur contenu, qui contient de fausses informations sur la crise climatique, a reçu un total de 507000 interactions. Ces surfeurs sont également connus pour avoir répandu de nombreuses théories du complot, notamment l’opposition aux vaccins, la négation de l’Holocauste et le complot visant à « voler l’élection » aux États-Unis à Donald Trump, ce que de nombreux émeutiers armés qui ont fait irruption dans le bâtiment du Capitole en janvier dernier ont préconisé.
Les réseaux sociaux sont devenus un terreau fertile pour la diffusion des théories du complot, en raison de la manière dont l’algorithme incite les internautes à passer le plus de temps possible sur la plateforme. Facebook, Twitter et YouTube ont été critiqués ces dernières années pour ce qu’on appelle « l’algorithme de radicalisation » : un principe selon lequel le réseau identifie les intérêts de l’internaute, et lui propose de plus en plus de contenus extrêmes. Ces contenus sont destinés à bouleverser ou à exciter le lecteur, et à l’inciter à « plonger plus profondément dans le terrier du lapin ». Dans des sujets polarisants tels que la politique, les tensions ethniques et sociales, l’algorithme crée une image du monde de plus en plus biaisée. De là, le chemin vers l’exposition aux théories du complot est direct.
Israël est particulièrement vulnérable
La nouvelle étude s’est concentrée sur le contenu en anglais uniquement et fournit donc un aperçu partiel de ce qui se passe dans le monde. Cependant, le Dr Tehilla Schwartz Altoshler, experte en droit et en technologie et chercheuse principale à l’Israel Democracy Institute, craint qu’Israël ne soit dans une position particulièrement vulnérable.
«Frances Haugen, une ancienne employée de Facebook qui a révélé en octobre dernier des documents traitant de la politique d’application de Facebook, a dit quelque chose qui ne me laisse pas de répit : les dégâts des fausses nouvelles ne se répartissent pas également entre tous les pays. Dans les pays où une langue très répandue est parlée, comme l’anglais, le français, le russe et l’espagnol, des outils d’intelligence artificielle ont été développés pour surveiller automatiquement le contenu. Mais lorsqu’il n’y a pas de mécanismes qui détectent les subtilités de la langue et des contextes sociaux, l’extrémisme du contenu dans cette langue sera beaucoup plus important qu’en anglais», dit-elle.
Selon le Dr Schwartz Altoshler, lors de l’opération « Gardien des murs », on a pu constater à quel point même la police et le Shin Bet étaient impuissants face aux fausses informations propagées sur les réseaux sociaux. « Il est à craindre que les fausses nouvelles en hébreu sur les questions climatiques vont se propager de la même manière », dit-elle.
« En Israël, la surveillance du contenu repose sur les signalements des utilisateurs et la réponse humaine, et les réseaux sociaux allouent très peu de ressources pour répondre au contenu en hébreu : il n’y a que deux ou trois personnes situées en Irlande ou au Texas responsables du problème. 9 millions de citoyens vivent ici aujourd’hui, mais en ce qui concerne les réseaux sociaux, nous sommes tombés dans l’océan ». En l’absence de réponse des réseaux sociaux ou des autorités, il ne reste plus aux internautes israéliens qu’à aiguiser leur sens de la critique : examiner attentivement la source de l’actualité à laquelle ils sont exposés, recouper les informations et rechercher activement les organismes et les experts les plus fiables.
Traduction/adaptation Esther Amar pour Israël Science Info
Auteur Avner Naaman pour Zavit le 4 août 2022
Télécharger ici le rapport complet de l’Institute for Strategic Dialogue