La plupart des femelles de mammifères mettent au monde des petits et s’occupent d’eux tandis que, de leur côté, les mâles ont souvent d’autres partenaires, et une fois l’accouplement terminé, ils jouent un rôle parental très restreint. Ce qui intéresse les chercheurs, c’est d’identifier l’endroit précis du cerveau où se trouvent les différences entre les sexes, et de découvrir comment elles agissent sur le comportement. L’ampleur du ‘comportement parental programmé’ est encore objet de discussion.
Le Dr Tali Kimchi et le doctorant Niv Scott, en collaboration avec le Dr Ofer Yizhar et le Dr Matthias Prigge, post-doctorant dans son laboratoire, tous du département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann, suggèrent une manière différente d’aborder ce sujet. Leur recherche montre que le même réseau de cellules cérébrales se comporte différemment chez les souris mâles et chez les femelles.
Les souris femelles, même celles qui n’ont jamais eu des petits, se comportent d’une manière qui peut être considérée comme maternelle. Elles sont capables, par exemple, de ramener à son nid un petit abandonné dans le coin d’une cage, et elles peuvent aussi passer leur temps à faire la toilette d’un nouveau-né. Cette tendance s’amplifie lorsque ces souris sont elles-mêmes devenues mères. Quant aux mâles, ils sont généralement agressifs et ont un comportement territorial, ils peuvent ignorer les nouveau-nés qui ne sont pas les leurs, ou même les attaquer violemment. Il arrive cependant qu’ils aient un comportement parental pendant une brève période après s’être accouplés avec une femelle, à partir de la naissance de leurs petits.
Pour comprendre comment le cerveau dirige le comportement parental, les chercheurs se sont concentrés sur une petite partie du cerveau, l’hypothalamus, dans lequel se trouve le noyau antéroventral périventriculaire (AVPV) qui est plus grand chez les souris femelles que chez les mâles. Le groupe a été particulièrement intéressé par certains neurones qui expriment une protéine connue sous le nom de tyrosine hydroxylase (TH), nécessaire à la production de la dopamine, l’un des messagers chimiques du cerveau. Ils ont observé que certains neurones contenant la TH sont plus nombreux chez les souris mères que chez les femelles vierges et chez les mâles. Ceci laisse entendre que, bien que ces neurones se trouvent chez les deux sexes, ils pourraient amener les femelles à donner des soins parentaux à leur progéniture, en ayant cependant une fonction différente chez les mâles.
Utilisant des outils génétiques et neurobiochimiques perfectionnés, les chercheurs ont d’abord augmenté, puis diminué, la quantité de TH chez les souris mâles et femelles, uniquement dans les neurones de cette région particulière du cerveau. Ils ont ensuite enregistré la façon dont ces changements affectent le comportement parental des souris. Le groupe a aussi utilisé la technique de l’optogénétique, qui fait que les neurones sont activés par la lumière, pour agir précisément sur les neurones contenant la TH, et donc littéralement « actionnant l’interrupteur pour allumer la lumière. »
Les chercheurs ont découvert qu’en élevant le niveau de TH dans ces neurones, ils pouvaient susciter le comportement maternel des femelles, aussi bien chez les souris vierges que chez les souris mères. Ils ont aussi remarqué qu’une brève activation optogénétique (même de quelques minutes) suffit pour qu’une femelle se précipite sur le coin de la cage afin de ramener un petit à son nid. D’autres tests ont montré que ces manipulations élèvent le niveau d’oxytocine dans le sang (c’est une hormone associée, entre autres, à la lactation et au comportement reproductif des femelles en général). On a constaté aussi qu’en diminuant le nombre de neurones contenant la TH chez les femelles, on abaisse leur niveau d’oxytocine, et on affaiblit notablement leurs instincts maternels.
Lorsque les chercheurs ont utilisé l’optogénétique pour activer les neurones contenant la TH chez les mâles, cela n’a eu aucun effet sur les niveaux d’oxytocine ou sur les soins donnés aux nouveau-nés. En revanche, de manière surprenante, il y a eu une baisse notable des comportements agressifs envers des nouveaux-nés inconnus et des mâles adultes qu’ils auraient attaqués en temps normal. Mais dans le cas contraire, la diminution du nombre de neurones contenant la TH provoque une augmentation importante de l’agressivité des mâles envers ces deux catégories.
La Dr Kimchi explique : « En contrôlant la quantité et les activités de ces neurones particuliers, nous avons réussi à manipuler le comportement maternel des femelles et l’agressivité des mâles. Nos résultats laissent entendre que le comportement maternel provient de réseaux de neurones largement connectés. Ils sont différents de ceux des mâles, et sont, au moins en partie, régulés par l’hormone oxytocine. »
Ces découvertes pourraient, à l’avenir, permettre de mieux comprendre comment fonctionnent les cerveaux des mâles et des femelles lorsqu’il s’agit d’activités conventionnelles propres aux deux genres, comme s’occuper des nouveaux-nés, et autres comportements innés, reproductifs et sociaux. La Dr Kimchi espère que cette découverte pourra en fin de compte améliorer la compréhension des facteurs biologiques contribuant aux perturbations mentales, qui ont un aspect social, ainsi que les différences entre les genres. Celles-ci comprennent la dépression périnatale, et l’ensemble des perturbations caractérisant l’agressivité et l’autisme.
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Publication dans Nature, 16 sept. 2015