« Depuis les déclarations d’Emmanuel Macron en 2017, de nombreux observateurs ont analysé l’innovation en France au regard de l’objectif d’en faire une “start-up nation”, sans toujours préciser sa définition, ses caractéristiques, son origine (…) Et sans réaliser qu’Emmanuel Macron ne mentionne plus ce modèle dans sa communication depuis plus d’un an maintenant », écrit Sébastien Linden, consultant en internationalisation, dans une analyse pour News Tank le 07/01/2021.
« Start-up nation » désigne avant tout Israël, rappelle-t-il, et « si la réussite de l’écosystème israélien peut être source d’inspiration, elle montre aussi que l’on peut développer son propre modèle, en mobilisant ses forces et en s’adaptant aux évolutions mondiales ».
En France, la French Tech, « qui désigne à la fois un écosystème, une politique publique et un label, a pris de l’ampleur, avec un maillage territorial dans les métropoles et les régions françaises et un réseau de 48 communautés à travers le monde ».
Le discours d’Emmanuel Macron aux acteurs de la French Tech, le 14/09/2020, a « marqué une inflexion vers les “valeurs” », relève l’expert.
Sébastien Linden est ancien attaché de coopération scientifique et universitaire en Israël et ancien responsable de Sciences Po pour le Maghreb et le Moyen-Orient. Cet article fait suite à la tribune publiée le 6 janvier sur l’écosystème d’innovation d’Israël.
Faire de la France une « start-up nation »
Les articles de presse sur l’innovation en France s’interrogent régulièrement : la France est-elle devenue une « start-up nation » ? Le terme a été tellement utilisé que certains ne savent même plus qu’il a été forgé par les auteurs Dan Senor et Saul Singer pour désigner Israël, dans leur livre publié en 2009 pour analyser le succès de l’innovation israélienne.
L’objectif de faire de la France une « start-up nation » remonte à l’initiative French Tech, lancée en 2013 par Fleur Pellerin, secrétaire d’État chargée du numérique, avec la volonté de positionner la France comme une terre d’innovation et d’entrepreneuriat, alors qu’elle est surtout perçue comme un pays d’ingénieurs.
L’enjeu : attirer chercheurs, entrepreneurs et investisseurs. Mais, si Fleur Pellerin déclare que « la France doit s’affirmer comme une “start-up nation” » (Nouvel Observateur, 12/12/2013), sa communication est hésitante.
Faut-il mettre en avant cette référence extérieure qui manifeste l’ambition du gouvernement ou bien promouvoir un modèle français ? Fleur Pellerin affirme aussi vouloir bâtir une « start-up République » (Challenges, 14/02/2014).
Axelle Lemaire, qui lui succède en 2014, choisit de mettre l’accent sur la République et ses valeurs :
« Certains parlent de “start-up nation” [Israël] ou de “Tech city” [Londres]. Je souhaite que l’on mette en avant notre “République numérique”, un environnement qui favorise l’innovation dans le respect de nos valeurs, avec des objectifs d’inclusion des territoires et d’égalité sociale » (Les Échos, 3 septembre 2014).
C’est dans cet esprit qu’elle fait voter en 2016 une « Loi pour la République numérique » qui vise à préparer le pays aux enjeux de la transition numérique.
Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l’Élysée de 2012 à 2014, devient ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique en juillet 2014 et poursuit l’initiative French Tech.
En septembre 2015, il se rend en Israël à l’occasion du DLD, le Festival annuel de l’innovation de Tel-Aviv, pour un voyage sous le signe de la Tech au sein de la “start-up nation”.
Un objectif qui prend une dimension politique
Avec la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron réaffirme l’objectif de faire de la France une “start-up nation” et lui donne une dimension plus politique. Il déclare, le 13/04/2017 : “Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une”.
Il voit dans les créateurs d’entreprises ‘les premiers de cordée d’une société qui a besoin de se transformer’.
Si la “Silicon Valley” reste la référence en matière d’innovation la plus répandue dans le monde, la ‘start-up nation’ offre à Emmanuel Macron un modèle de réussite dans un cadre national, au moment où il propose un projet au pays.
Elle lui permet aussi de mettre en avant la culture d’innovation et la logique d’écosystème, qui font la force d’Israël, premier pays au monde en nombre de start-up par habitant et en dépenses de R&D par rapport au PIB (4,94 % en 2018 contre 2,19 % en France), avec des acteurs de l’innovation qui travaillent en interaction : 7 000 start-up, 350 incubateurs et accélérateurs, 200 fonds de capital risque, 400 centres de R&D de multinationales, sept universités de recherche, une autorité de l’innovation, sans oublier le rôle de l’armée…
Surtout, si Emmanuel Macron promeut l’idée de “start-up nation”, c’est pour décliner son double sens : nation des start-up, mais aussi nation qui se développe comme une start-up.
Élu Président, il précise sa pensée le 15/06/2017 au Salon Vivatech :
« Je veux que la France soit une ‘start-up nation’, c’est-à-dire à la fois une nation qui travaille avec et pour les start-up, mais aussi une nation qui pense et évolue comme une start-up ».
Depuis les déclarations d’Emmanuel Macron en 2017, de nombreux observateurs ont analysé l’innovation en France au regard de l’objectif d’en faire une “start-up nation”, sans toujours préciser sa définition, ses caractéristiques, son origine.
Parfois en dénaturant son sens, critiquant un modèle qu’ils voient centré uniquement sur les start-up au détriment des grands groupes ou ne visant qu’un objectif de licornes (ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars). Et sans réaliser qu’Emmanuel Macron ne mentionne plus ce modèle dans sa communication depuis plus d’un an maintenant.
Une référence aujourd’hui écartée par Emmanuel Macron
Pourquoi le Président de la République a-t-il abandonné cette référence ?
On pourrait tenter une explication par les spécificités du modèle israélien, notamment l’étroitesse du marché intérieur, ses contraintes géographiques et géopolitiques, le rôle de l’armée, un financement de la R&D qui vient de l’étranger pour 52 % (contre 8 % en France).
On pourrait aussi souligner que les grandes réussites de l’innovation israélienne ne doivent pas cacher les défis à relever, qui nécessitent des évolutions : une vulnérabilité au contexte international, une économie traditionnelle moins innovante que dans les principaux pays développés, des inégalités sociales, des déséquilibres territoriaux, un manque de compétences.
- Mais l’explication n’est-elle pas avant tout de nature politique dans une France marquée par l’épisode des “Gilets jaunes” ?
- Ne faut-il pas la chercher dans les tensions inhérentes à l’association en France des mots “start-up” et “Nation” ?
- Dire que la France est (ou veut devenir) une “start-up nation”, n’est-ce pas vouloir définir le pays par son projet économique, en contradiction avec notre histoire politique de la nation ?
- Ou alors, n’est-ce pas désigner une nation au sein de la nation, un groupe qui serait plus dynamique et aurait pour mission de tirer les autres (les “premiers de cordée” ?), un groupe où l’on retrouve principalement des trentenaires, blancs, mâles, en contradiction avec notre conception unitaire et inclusive de la Nation ?
On peut aussi constater que l’innovation française a réalisé des progrès importants depuis 2017, dans les investissements étrangers ou le nombre de start-up ou encore de licornes. Et se dire qu’il n’est peut-être plus pertinent de se définir en référence au modèle d’un autre pays, qui déploie sa marque dans le monde entier.
En effet, cette image positive de “start-up nation” est utilisée par de nombreux acteurs israéliens, le gouvernement bien sûr, mais aussi des entreprises ou des associations, pour un marketing visant à valoriser non seulement l’innovation israélienne, mais aussi le pays dans son ensemble.
Une “diplomatie de l’innovation” qui s’est même conjuguée à une “diplomatie sportive” : en 2019, le milliardaire israélo-canadien Sylvan Adams, qui finance une équipe cycliste israélienne, lui attribue le nom “Israël, start-up nation”, en accord avec Start-up nation Central, l’ONG israélienne détentrice de la marque “start-up nation”, qui développe des liens dans l’innovation entre Israël et le monde.
L’équipe est révélée au grand public par sa participation au Tour de France en 2020 ; elle avait également pris part en février 2020 au Tour des Émirats arabes unis… quelques mois avant que cet État du Golfe signe avec Israël, en août 2020, un accord normalisant leurs relations diplomatiques.
Le succès de cette communication rappelle que “start-up nation” désigne avant tout Israël.
Un modèle français de French Tech
Si la réussite de l’écosystème israélien peut être source d’inspiration, elle montre aussi que l’on peut développer son propre modèle, en mobilisant ses forces et en s’adaptant aux évolutions mondiales.
La “French Tech”, qui désigne à la fois un écosystème, une politique publique et un label, a pris de l’ampleur, avec un maillage territorial dans les métropoles et les régions françaises et un réseau de 48 communautés à travers le monde.
À partir d’un double enjeu d’emploi et de souveraineté, c’est dans ce cadre que le gouvernement présente sa politique pour l’innovation : soutenir la croissance des start-up, mobiliser les investissements, attirer les talents, avec un plan de 7 milliards d’euros engagés sur 2020-2022 sur le numérique.
Si le discours d’Emmanuel Macron aux acteurs de la French Tech le 14/09/2020 a surtout été commenté pour la polémique sur la 5 G, il a aussi marqué une inflexion vers les “valeurs’” : « Cette transformation par le numérique touche la France toute entière », « elle est porteuse des valeurs auxquelles nous croyons », « c’est un levier formidable pour un monde plus inclusif », « pour avoir un écosystème… qui est porteur de sens ».
C’est sans doute une perspective qu’il veut donner à la “French tech” dans un monde frappé par une crise sanitaire, économique et environnementale.
Une orientation que prend d’ailleurs aussi la “start-up nation” qui veut s’affirmer à la fois comme une ‘impact nation’ pour répondre aux grands défis mondiaux et une “smart-up nation” qui répond aux besoins de la société israélienne, tout en devenant plus inclusive, notamment auprès des populations arabes et juives orthodoxes.