L'initiative israélienne «Terre de blé» (land of wheat) collecte et conserve les variétés de blé pour les générations futures
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Zavit. Bien que la « révolution verte » ait amené la production de blé à sa plus grande capacité, elle a réduit la diversité génétique du blé en le rendant moins résistant aux facteurs de stress du changement climatique. L’initiative israélienne « Terre de blé » pourrait être la meilleure solution de restauration génétique du blé.
Pendant des milliers d’années, la fête de Chavouot a marqué la saison de la récolte des céréales en Terre d’Israël. Sous le premier et le second Temple à Jérusalem, du pain spécial fabriqué à partir du blé récolté était offert pour commémorer un événement. Depuis lors, le blé est devenu un aliment de base majeur dans la société d’aujourd’hui, et sa demande n’a fait qu’augmenter avec la population humaine.
Pour répondre à cette demande, des variétés de blé modernes ont commencé à être développées au cours des années 1950 lors de ce qui fut surnommé à tort la «révolution verte». «Après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, il y avait une peur mondiale de la famine», explique Sivan Frankin, doctorant à l’Institut Volcani et à la Faculté d’agriculture. «Les gens ont vu la flambée de la croissance démographique, en particulier dans les pays en développement, et ont supposé que si la faim cessait, il n’y aurait pas de guerres». L’hypothèse selon laquelle un estomac plein éliminerait le besoin de guerres n’a pas vraiment résisté à l’épreuve du temps, mais elle a conduit les scientifiques et les chercheurs à explorer et à développer de nouvelles façons d’augmenter les rendements du blé. L’un des agronomes qui a oeuvré dans ce sens fut le Dr Norman Borlaug, qui proposa des variétés à haut rendement Lerma Rojo 64 et Sonora 64, basées sur la variété de blé Norin 10 et des variétés traditionnelles mexicaines permettant de tripler les rendements de cette céréale.
À partir des années 1960, la production et les rendements de blé ont considérablement augmenté dans le monde et, en 1970, la découverte de Norman Borlaug lui a valu le prix Nobel de la paix. Aujourd’hui, environ 770 millions de tonnes de blé sont produites chaque année sur un peu plus de 215 millions d’hectares de terres agricoles cultivées pour satisfaire notre envie universelle de pain. Aucune autre culture au monde n’a autant de superficie récoltée à cultiver. Avec une consommation mondiale estimée à 2% chaque année, les projections indiquent que 822 millions de tonnes métriques de blé seront produites chaque année d’ici 2025-2026.
Un compromis existe
Alors que le pain et les autres produits liés au blé restent une partie centrale de notre alimentation, le blé qui pousse dans nos champs aujourd’hui est très différent de la variété quelques décennies auparavant. Bien que la préférence des variétés élites de blé à haut rendement par rapport aux variétés traditionnelles génétiquement diverses se soit avérée fructueuse à court terme, ses effets environnementaux à long terme ont fait l’objet de nombreuses critiques. Au-delà des critiques allant de l’émergence de la monoculture à grande échelle, à l’expansion de la déforestation, à l’augmentation des émissions de GES des machines agricoles et à l’intensification des ressources comme l’eau, les engrais et les pesticides, la diffusion mondiale de la variété de blé de Norman Borlaug a provoqué une réduction écrasante de la diversité génétique du blé. Avec la crise climatique, la révolution agricole qui a amené notre civilisation là où elle en est aujourd’hui pourrait très bien être la cause de sa propre chute.
Dans le but d’éviter ce scénario du pire, l’initiative israélienne Terre de blé collecte et conserve les variétés de blé traditionnelles et locales afin de permettre la croissance continue du blé moderne pour les générations futures. «Nous sommes passés par un processus très rapide en quelques années à peine, de la culture traditionnelle de milliers de variétés de blé à la culture de quelques variétés modernes, certes excellentes et à haut rendement, mais très similaires en termes de profil génétique », explique Frankin. Cela n’est pas aussi spectaculaire que les conséquences de la déforestation, mais le déclin de la diversité génétique des espèces de blé est très problématique à la lumière des changements actuels dans le monde.
«La population mondiale continue de croître et devrait atteindre 9 milliards de personnes d’ici 2050, mais nos zones agricoles ne sont pas en expansion, mais plutôt en diminution. Et pour couronner le tout, nous vivons la réalité du changement climatique », déclare le Dr Roi Ben-David, directeur de la recherche agricole à l’Institut Volcani. « Sans variété génétique, nous ne pourrons pas continuer à changer et à améliorer le blé d’année en année pour répondre à la demande croissante ». Parce que les variétés de blé modernes partagent de nombreuses similitudes génétiques les unes avec les autres, le Dr Ben-David vante la nécessité de revenir à l’essentiel – aux variétés originales, traditionnelles et diverses qui fleurissaient autrefois. «Bien que ces variétés originales ne puissent à elles seules rivaliser avec les variétés modernes, si nous menons des recherches appropriées, nous pouvons y localiser des caractères intéressants et utiles qui sont pertinents pour la culture, inculquer ces caractères dans des variétés modernes et, espérons-le, augmenter les rendements», dit-il.
Remercions les botanistes
Problème : les variétés de blé traditionnelles ne peuvent plus être trouvées dans les champs. «Ces variétés ont disparu parce que personne n’a jugé bon de les préserver», déclare le Pr Avi Perevolotsky, du Département des grandes cultures et des ressources naturelles de l’Institut des sciences végétales du Centre Volcani. Néanmoins, la nécessité de continuer à améliorer la diversité du blé est particulièrement urgente car les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le blé sont nombreuses et variées : changements d’hygrométrie, rythme des précipitations, température, disponibilité des nutriments, ravageurs et maladies des cultures comme la rouille du blé. Selon Roi Ben-David, l’opinion générale est que pour toute augmentation de température mondiale, il y aura un dommage de 6% aux rendements du blé.
Mais quelques visionnaires ont compris l’importance de la conservation et ont mené des campagnes de collecte indépendantes. Grâce à eux, nous avons maintenant des espèces locales uniques qui ont presque disparu. «Il y avait des collections d’urgence en Israël bien avant la création de l’État», explique le Dr Einav Mayzlish-Gati du Centre pour les ressources génétiques et la qualité des semences de l’Institut Volcani. «Aaron Aaronson savait qu’il fallait préserver et envoyer le matériel génétique israélien aux banques de semences du monde entier, et le biologiste russe Nikolai Vavilov, qui a fondé la première banque de semences à Saint-Pétersbourg, s’est rendu en Israël en 1926 et a collecté une gamme de variétés locales. L’une des dernières collectes d’urgence en Israël a été réalisée dans les années 1980 par Yaakov Matitya, qui travaillait à l’Institut Volcani. Il a effectué des voyages de collecte à travers le pays depuis les hauteurs du Golan en passant par la Judée et la Samarie jusqu’au Sinaï et a documenté les usages et les traditions derrière toutes les variétés de blé qu’il a rencontrées dans de petits cahiers bien soignés », ajoute-t-elle.
Retour des variétés locales en Israël
En 2015, aux côtés de nombreux autres partenaires et collègues, le Dr Mayzlish-Gati, le Dr Ben-David et Bizi Goldberg, un consultant indépendant dans le domaine du blé traditionnel, ont créé le projet Land of Wheat pour restaurer et conserver les variétés locales d’Israël et les variétés de blé traditionnelles. Le projet est financé par le ministère de l’Agriculture, le ministère de Jérusalem et du Patrimoine, la Fondation du patrimoine israélien, le chief scientist du ministère de l’Agriculture, l’Organisation des travailleurs du segment et la Fondation Yad Hanadiv. «Nous avons contacté les banques de semences et rendu une grande partie de la diversité des semences locales à Israël, afin qu’il y ait une collection désignée et disponible de variétés de blé traditionnelles», explique le Dr Mayzlish-Gati.
«Nous conservons les semences dans des conditions optimales (des températures de – 20°C) pour être utilisées à l’avenir lorsque nous en aurons besoin. Cela pourrait être aujourd’hui, demain ou dans des décennies ». Sivan Frankin a souligné que ce stock génétique peut assurer une sécurité alimentaire suffisante. «Il sera désormais mis à la disposition des chercheurs sur le blé pour la culture et l’amélioration des futures variétés de blé». Certaines variétés de blé sont même plantées dans nos champs grâce à un partenariat communautaire avec des artisans boulangers, des jardins d’enfants, des jardins communautaires et des écoles qui les cultivent à des fins culinaires et éducatives.
Saveurs d’une autre époque
La restauration des variétés traditionnelles enrichit non seulement la diversité génétique du blé, mais ravive également les saveurs perdues depuis longtemps, qui autrement auraient complètement disparu. «Une diversité génétique du blé implique également une variété culinaire de saveurs et de textures», explique le Pr Avi Levy du Département des sciences végétales et environnementales de l’Institut des sciences Weizmann. « Les cahiers de Yaakov Matitya décrivent très précisément la texture des pâtes de blé et celles qui étaient destinées au boulgour ou aux pitas – nous parlons de descriptions étonnantes« , ajoute Frankin avec enthousiasme. «La restauration de profils de saveurs vieux de plusieurs décennies à partir de la diversité du blé présente une valeur ajoutée à notre travail.» Mais le blé n’est pas la seule culture qui souffre d’une diversité génétique limitée et fragile. «Le processus qui a eu lieu dans le blé s’est également produit dans de nombreuses autres cultures avec la transition vers la culture moderne et avec l’épuisement de la biodiversité traditionnelle», explique le Dr Mayzlish-Gati.
Ces autres cultures, principalement en serres, comprennent les pastèques, les courgettes et diverses herbes. Suite au succès du projet «Terre de blé», de plus en plus de cultures sont envisagées pour la préservation au nom du patrimoine et de la diversité génétique. Trop souvent, de grandes quantités de cultures meurent en raison d’une maladie, d’un ravageur ou d’une météo particulière. Sans une grande diversité génétique, les variétés résistantes et durables à long terme sont tout simplement perdues. En préservant cette diversité, les agriculteurs peuvent redonner de la résilience aux cultures et cultiver des variétés agricoles résistantes pour sécuriser les approvisionnements alimentaires mondiaux.
Lior Mammon et Max Kaplan-Zantopp pour ZAVIT 19 mai 2021
Traduit et adapté par Esther Amar pour Israël Science Info
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ZAVIT. Although the Green Revolution brought wheat production to its highest capacity, it slashed wheat’s genetic diversity making it less resilient to climate change stressors. An Israeli initiative may be wheat’s best shot at genetic restoration.
For thousands of years, the Shavuot holiday has marked the season of the grain harvest in the Land of Israel. During the first and second temple period in Jerusalem, special bread made from the harvested wheat was offered as a kind of agricultural tithe to commemorate the occasion, and to this day our fields are still filled with this yellowish and highly sought-after crop.
Since then, wheat has become a major food staple in today’s society, and the demand for it has done nothing but grow as a result of human population increases. To meet this demand, modern wheat varieties began being developed during the 1950s in what became misleadingly dubbed as the “Green Revolution”.
“After World War II, in the 1950s, there was a worldwide fear of famine,” explains Sivan Frankin, a doctoral student at the Volcani Institute and the Faculty of Agriculture. “People saw the surge in population growth, especially in developing countries, and assumed that if hunger ended there would be no wars.”
The assumption that a full stomach would eliminate the need for wars did not exactly stand the test of time, but it led scientists and researchers to explore and develop new ways to increase wheat yields. One such agronomist who accomplished this was Dr. Norman Borlaug who was most well-known for crossbreeding the semi-dwarf Japanese wheat variety, Norin-10, with a high-yielding American variety, Brevor-14, creating a new semi-dwarf, disease-resistant wheat variety adapted to both tropical and sub-tropical climates.
From the 1960s, wheat production and yields rose dramatically around the world, and by 1970, Borlaug’s discovery earned him the Nobel Peace Prize. Today, around 770 million metric tons of wheat are produced every year from a little more than 215 million hectares of cultivated agricultural land to satisfy our universal craving for bread. No other crop in the world is given that much harvested area to grow. And with global consumption estimated to rise by 2% each year, projections indicate 822 million metric tons of wheat will be produced annually by 2025-26.
There’s a Tradeoff
While bread and other wheat related products remains a very integral and central part of our diet, the wheat sprouting in our fields today is much different from the variety that filled them just a few decades prior. Although the favoring of high-yielding, elite varieties of wheat over the genetically diverse traditional varieties proved successful in the short-term, its long-term environmental effects have been the subject of much criticism. Beyond the critiques ranging from the emergence of large-scale monoculture, the expansion of deforestation, the increase in GHG emissions from farm machinery, and the intensification of resource inputs like water, fertilizer, and pesticides, the worldwide spread of Borlaug’s wheat variety prompted an overwhelming reduction in the genetic diversity of wheat.
Therefore, in the light of the climate crisis, the very agricultural revolution that brought our civilization to where it is today may very well be the cause of its own downfall. In the effort to avoid this worst-case scenario, the Israeli initiative “Land of Wheat” is working to collect and preserve traditional and local wheat varieties to enable the continued prosperity of modern wheat for future generations.
“We went through a very fast process in just a number of years in which we transitioned from the traditional cultivation of thousands of wheat varieties to the cultivation of just a few modern varieties, albeit excellent and high in yield, but very similar in terms of their genetic profile,” says Frankin.
It may not seem as blatantly obvious as the consequences of deforestation, for instance, but the decline in the genetic diversity of wheat species is highly problematic in light of the changes currently taking place in the world.
“The world population continues to grow, and it is expected to reach 9 billion people by 2050, yet our areas for agriculture are not expanding, rather they are shrinking. And to top it off, we live in a reality of climate change,” says Dr. Roi Ben-David, Director of Agricultural Research at the Volcani Institute. “Without genetic variation, we won’t be able to continue to change and improve wheat from year to year to meet the growing demand.”
Because modern wheat varieties share many genetic similarities with each other, Dr. Ben-David touts the necessity to return to the basics—to the original, traditional, and diverse varieties that once flourished.
“While these original varieties on their own can’t compete with modern varieties, if we conduct proper research, we can locate interesting and useful traits within them that are relevant to cultivation, instill these traits in modern varieties, and hopefully increase yields,” he says.
Thank the Botanists
There’s just one minor problem: traditional wheat varieties can no longer be found out in the fields. “These varieties have disappeared because no one saw fit to preserve them,” says Prof. Avi Perevolotsky, of the Department of Field Crops and Natural Resources at the Institute of Plant Sciences at the Volcani Center.
Nevertheless, the need to continue to improve wheat diversity is particularly urgent because the threats to wheat today are numerous and varied. These include the changes in humidity, precipitation patterns, temperature, nutrient availability, as well as pests and crop diseases like wheat rust. According to Ben-David, the general estimate is that for any increase in global temperature there will be a 6% damage to wheat yields.
Fortunately, however, a number of visionaries understood the importance of conservation and independently conducted collection campaigns. Thanks to them, we now have unique local species that were almost extinct.
“There were emergency collections in Israel long before the state was established,” explains Dr. Einav Mayzlish-Gati of the Center for Genetic Resources and Seed Quality at the Volcani Institute. “Aaron Aaronson knew to preserve and send Israeli genetic material to seed banks around the world, and the Russian biologist Nikolai Vavilov, who founded the first seed bank in St. Petersburg, visited Israel in 1926 and collected a range of local varieties.”
“One of the last emergency collections in Israel was conducted in the 1980s by Yaakov Matitya, who worked at the Volcani Institute. He conducted collection trips throughout the country from the Golan Heights through Judea and Samaria to Sinai and documented the uses and traditions behind all the wheat varieties he came across in neat little notebooks,” she adds.
Returning Local Varieties to Israel
In 2015, alongside many other partners and colleagues, Dr. Mayzlish-Gati, Dr. Ben-David and Bizi Goldberg, an independent consultant in the field of traditional wheat, established the “Land of Wheat” project designed to restore and preserve Israel’s local and traditional wheat varieties. The project is funded by the Ministry of Agriculture, the Ministry of Jerusalem and Heritage, the Israel Heritage Foundation, the Chief Scientist of the Ministry of Agriculture, the Organization of Segment Workers, and the Yad Hanadiv Foundation.
“We contacted the seed banks and returned a large part of the local seed diversity to Israel, so that there would be a designated and available collection of traditional wheat varieties,” says Dr. Mayzlish-Gati. “We keep the seeds in optimal conditions—temperatures of -20°C—so that they can be used in the future when we need them. It could be today, tomorrow, or decades from now.”
Sivan Frankin emphasized that this genetic stockpile can provide ample food security. “It will be available to wheat researchers from now on for the cultivation and improvement of future wheat varieties.”
Some of the wheat varieties are even being planted in our fields through a community partnership with artisan bakers, kindergartens, community gardens, and schools who grow them for culinary and educational purposes.
Flavors from Another Decade
The restoration of traditional varieties not only enriches the genetic diversity of wheat, but also revives long lost flavors, which would have otherwise completely disappeared. “A genetic diversity of wheat also entails a culinary variety of flavors and textures,” says Prof. Avi Levy of the Department of Plant and Environmental Sciences at the Weizmann Institute of Science.
“Yaakov Matitya’s notebooks have a really accurate description of the texture of the wheat doughs and which ones were intended for bulgur or pitas—we’re talking about some amazing descriptions,” Frankin adds enthusiastically. “The restoration of decades old flavor profiles from wheat diversity presents an added value to our work.”
But wheat is not the only crop suffering from limited and fragile genetic diversity. “The process that took place in wheat also happened in many other crops with the transition to modern cultivation and with the depletion of traditional biodiversity,” says Dr. Mayzlish-Gati. These other crops, which have primarily transitioned to being grown in greenhouses, include watermelons, zucchini, and various herbs.
Following the success of the “Land of Wheat” project, more and more crops are being considered for preservation for the sake of heritage and genetic diversity. Too often do large volumes of crops die off due to a singular disease, pest, or weather condition. Without ample genetic diversity, instances of resistance and options for long-term sustainability are simply lost. By preserving this diversity, farmers can return resilience to the crops and cultivate resistant agricultural varieties to ultimately secure global food supplies.
Lior Mammon and Max Kaplan-Zantopp for ZAVIT May 19, 2021
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