Biomimétique : l’université d’Ariel montre le lien entre les disques intervertébraux humains et les coraux mous
Des millions de personnes dans le monde souffrent de dégénérescence discale et n’ont que peu de solutions disponibles pour soulager leur douleur. Le Dr Mirit Sharabi, professeure adjointe au département de génie mécanique et de mécatronique de l’université d’Ariel et responsable du laboratoire de mécanique bio-inspirée et complexe des matériaux (BCMM), a un objectif : réparer, reconstruire ou remplacer ces disques endommagés, ainsi que d’autres tissus mous. Ses recherches l’ont conduite au fond de la mer où les coraux mous abondent. « J’espère que mes recherches sur les propriétés des matériaux composites mous conduiront à des solutions pour le remplacement des disques intervertébraux et à une variété d’autres transplantations de tissus mous. » En comprenant la nature et les caractéristiques des matériaux composites naturels souples au niveau micromécanique, elle espère jouer un rôle dans le développement de nouveaux matériaux qui serviront un jour à fournir des « pièces de rechange » pour traiter et réparer les tissus endommagés, comme les disques intervertébraux dégénérés, les ménisques détachés ou les vaisseaux sanguins endommagés.
Le Dr Sharabi pense qu’à mesure que la science et la médecine progresseront, des améliorations seront également apportées aux tissus transplantés. Cette approche, appelée biomimétique, produit des modèles, des systèmes et des éléments trouvés dans la nature dans le but de résoudre des problèmes humains complexes, ce qui permettra une meilleure ingénierie de nouveaux matériaux composites possédant les caractéristiques des matériaux naturels. Elle compare facétieusement ses recherches à la façon dont le personnage de bande dessinée, Spiderman, produit de puissantes toiles d’araignée. Elle crée des nanofibres en utilisant l’électricité à haute tension pour construire des structures multi-hiérarchiques, similaires à celles que l’on trouve dans la nature. Les mêmes principes s’appliquent aux organes et tissus humains, comme le ménisque, les coussins caoutchouteux en forme de C qui servent d’amortisseurs dans l’articulation du genou. Outre la réinsertion d’un ménisque déchiré, les alternatives disponibles aujourd’hui pour réparer ou remplacer un ménisque ne sont que partiellement efficaces. Pour comprendre le comportement mécanique des tissus mous, il faut analyser leur structure, couche par couche.
Pour ce faire, le Dr Sharabi et son équipe de chercheurs construisent des modèles des couches du ménisque à l’aide de composites souples renforcés de fibres. En ce qui concerne la colonne vertébrale, la structure particulière des disques intervertébraux leur permet d’agir comme des amortisseurs et de supporter des poids de 500 kg et plus, et de permettre des mouvements dans diverses directions. Le Dr Sharabi explique qu’en essayant de copier la structure du disque intervertébral, ils peuvent en apprendre beaucoup sur les fonctions qu’ils remplissent.
« Ce qui me passionne, c’est de comprendre les complexités mécaniques du disque intervertébral. Nous étudions les minuscules couches individuelles des tissus prélevés sur les disques d’animaux de laboratoire pour comprendre les propriétés physiologiques complexes de chaque partie de ces tissus et comment ils fonctionnent ensemble pour permettre la capacité remarquable et complexe du corps à se déplacer. Nous essayons ensuite de les reproduire en examinant leurs structures d’un point de vue mécanique et d’ingénierie des matériaux, plutôt que d’une orientation biologique. »
Quand on lui demande pourquoi de simples greffes en plastique, en caoutchouc ou en silicone ne sont pas des matériaux adaptés à la construction de disques de remplacement, le Dr Sharabi donne l’exemple de l’élasticité de la peau qui lui permet d’être tirée et étirée, mais de revenir finalement à sa forme initiale.
« Nos organes et nos tissus sont conçus pour des performances spécifiques. Par exemple, regardez l’énorme flexibilité que doivent avoir les gymnastes pour se plier et s’étirer. Des matériaux comme le plastique ou le caoutchouc n’ont tout simplement pas les propriétés requises pour ce type de combinaison de résistance et de flexibilité. Nous essayons de recréer des propriétés mécaniques très spécifiques que l’on trouve dans des matériaux composites capables de comportements très spécifiques », explique le Dr Sharabi. Les matériaux composites que l’on trouve dans les tissus de notre corps sont composés de trois éléments principaux : le collagène, qui confère de la résistance aux tissus comme les tendons, les ligaments, la peau, etc. ; l’élastine, qui apporte élasticité et flexibilité ; et les protéoglycanes, une sorte de gel qui apporte hydratation et gonflement aux tissus, leur permettant de résister aux forces de compression. Ces trois éléments, présents en quantités variables dans les tissus mous de notre corps, permettent le fonctionnement des différents systèmes. Comme l’explique le Dr Sharabi, « Si nous utilisons un matériau trop mou pour une greffe de vaisseau cardiovasculaire, il se gonflera comme un ballon parce qu’il est trop faible pour supporter la pression interne du vaisseau sanguin, ce qui provoquera son éclatement.
Si nous utilisons un matériau trop rigide, il en résultera une inadéquation entre le vaisseau et la greffe, ce qui entraînera une défaillance car le vaisseau sera incapable de se dilater suffisamment sous la pression interne. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles chaque organe de notre corps se comporte comme il le fait. Il s’agit d’un domaine de recherche relativement nouveau et, en tant qu’ingénieur mécanique, j’essaie de comprendre comment ces systèmes fonctionnent et pourquoi leur architecture est telle qu’elle est. En collaboration avec des biologistes, des médecins et des ingénieurs, nous travaillons sur la façon de reproduire ces tissus. »
C’est là que les coraux mous entrent en jeu. Contrairement aux coraux durs, dont le squelette est principalement composé de calcium, les coraux mous n’ont pas de squelette. Le collagène est ce qui les rend robustes. Le Dr Sharabi construit des matrices de fibres de collagène prélevées sur des coraux mous auxquelles on ajoute des matériaux hydrogels pour les lier. Le composite obtenu est très similaire à certains types de tissus biologiques. Cependant, le Dr Sharabi ajoute : « Je ne suis pas biologiste et je n’essaie pas de créer une compatibilité biologique. « Je m’intéresse plutôt à la mécanique du matériau pour comprendre s’il se comporte comme le matériau du disque intervertébral, par exemple. »
Le Dr Sharabi et son équipe ont assemblé une construction similaire au disque intervertébral, imitant ses deux principaux composants. La couche externe est une structure fibreuse, et la couche interne est constituée d’une substance gélatineuse qui agit comme un amortisseur qui transfère le mouvement à la couche externe. Elle effectue des simulations informatisées pour analyser les forces agissant sur le disque composite, et pense que les matériaux qu’elle développe pourraient avoir les capacités opérationnelles d’un disque complet. Elle et son équipe travaillent actuellement à combiner leur partie externe composite avec un hydrogel qui imite le noyau de gel interne. Ils utilisent une substance très similaire à la partie interne du disque en gel du noyau pulpeux, qui est en cours de développement au Collège ORT-Braude. L’équipe de Sharabi se concentre sur la combinaison de l’annulus fibrosus biomimétique et du noyau pulpeux et sur la caractérisation structurelle et mécanique des deux matériaux. De plus, en utilisant leur nouveau matériau contenant des fibres de soie et de collagène, ils ont réussi à reproduire le comportement de plusieurs zones de disques. Les résultats démontrent l’importance de la directionnalité des fibres. Ces expériences sont menées en laboratoire à l’aide de simulations informatiques. Ces simulations permettent d’examiner l’ensemble du disque sous des modes de charge complexes auxquels les disques natifs sont soumis. (L’équipement spécial pour tester de manière avancée les effets du mouvement sur des matériaux réels est extrêmement coûteux et difficile à trouver.) Les simulations informatiques sont ensuite comparées aux résultats d’expériences de mouvement sur des cadavres. « En principe, il est possible que les mouvements mécaniques des disques fabriqués à partir de notre matériau soient similaires à ceux des disques réels », explique le Dr Sharabi. Dans un autre projet, le Dr Sharabi et ses étudiants explorent diverses formes de vie « morphing » capables de changer de forme dans certaines conditions. Il s’agit notamment de changements de pression, d’humidité ou de température qui provoquent l’ouverture des gousses de graines, comme les pommes de pin, pour libérer leurs graines. L’un des facteurs qui déterminent les changements qui en résultent est la directionnalité des fibres qui constituent la gousse et la façon dont elles s’alignent. « Nous imitons soigneusement ces structures pour comprendre comment elles fonctionnent dans la nature », explique le Dr Sharabi.
Traduit et adapté par Esther Amar pour Israël Science Info