Alors que notre confrère Science et vie du mois d’août titre en Une « Médicaments, ils soignent mieux les hommes que les femmes », voici que le Dr Tali Kimchi de l’Institut Weizmann a révélé une étude qui pourrait mener vers une meilleure compréhension du composant social des maladies neuropsychiatriques, qui se manifestent de manière différente chez les hommes et chez les femmes et qui pourrait aider à améliorer le développement de médicaments mieux adaptés à chaque sexes, notamment, à permettre une analyse des effets de certains médicaments sur les femmes.
Ses recherches ont été effectuées sur des souris de laboratoire, l’un des modèles animaux les plus couramment utilisés dans les recherches biologiques et médicales. Des milliers de souches de souris de laboratoire sont produites par une sélection artificielle – procédé utilisé par l’homme pour produire des animaux pendant des dizaines de générations jusqu’à obtention de traits voulus. Ceci a amené à la domestication des souris : le renforcement de qualités spécifiques qui les rendent aptes à la recherche dans des conditions de laboratoire, comme une reproduction rapide, avec l’élimination de caractéristiques qui ne sont pas propices à la recherche, comme l’agressivité, la volonté et la capacité d’échapper au danger, et l’anxiété causée par des perturbations environnementales.
Ce processus de sélection artificielle a cependant fait que les souris ont perdu un trait de caractère important : la capacité de survivre en liberté. En plus de ces traits perdus, les souris de laboratoire femelles ont développé une tendance à s’accoupler immédiatement avec chaque mâle qui passe sur leur chemin, y compris leurs frères et leurs pères. Elles ont donc perdu la capacité de choisir de manière sélective un compagnon selon des traits qui « promettent » que leur descendance ait des gènes et des chances de survie meilleurs que ceux qui ont des lignées communes. En même temps, elles ont acquis de l’enthousiasme à s’occuper de nouveaux-nés appartenant à des « étrangères » (même si elles-mêmes ne sont pas mères). Les souches de souris de laboratoire choisies pour subir une nouvelle sélection artificielle sont celles qui mangent de tout, grandissent rapidement et arrivent à la maturité sexuelle rapidement en comparaison avec les souris sauvages. C’est ainsi que l’on est arrivé à avoir des souris plus grandes, moins agressives, qui se reproduisent à un plus jeune âge, et sont moins difficiles quand il s’agit de choisir un compagnon. En d’autres mots, ces souches sont très différentes des souris sauvages en ce qui concerne leurs caractéristiques structurelles, physiologiques et comportementales.
La Dr Tali Kimchi, du département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann, a compris que ces souches de souris de laboratoire ne conviennent pas pour répondre à certains types de questions posées par sa recherche qui s’intéresse aux racines neurales et génétiques du comportement social, y compris la reproduction et l’instinct maternel (comme par exemple l’agressivité d’une mère envers la progéniture d’une autre, et le rôle des odeurs – les phéromones – dans le choix d’un compagnon et la manière d’élever les nouveaux-nés). La docteure Kimchi a donc dû développer une souche particulière de souris, en restaurant des propriétés qui avaient disparu chez les souris de laboratoire, tout en conservant la capacité d’utiliser les outils de l’ingénierie génétique pour créer des souches mutantes (un changement génétique qui désactive le fonctionnement d’un gène spécifique).
Pour faire cela, la Dr Kimchi et son groupe ont rétrocroisé des souches de souris de laboratoire mutantes, ayant une mutation spécifique dans le gène chargé de détecter les signaux des phéromones, avec des souris (non domestiquées) dérivées d’individus sauvages depuis dix générations. Dans ces nouvelles souches rétrocroisées, les chercheurs ont réussi à rétablir des caractéristiques typiques de souris sauvages, perdues au cours des processus de domestication et ayant disparu des souches de laboratoire, y compris celles qui concernent le comportement, la structure du corps, les hormones, différents processus biologiques et fonctions génétiques. Plus spécialement, les chercheurs ont restauré, entre autres, la capacité de réagir au danger et d’y échapper, d’être poussées par l’anxiété à sauter spontanément et à être paralysées de frayeur (comportement d’effroi), et de se comporter de manière agressive envers d’autres femelles. Un autre comportement important qui a été restauré dans les nouvelles lignées de souris a été l’instinct maternel : il est plus rare que des souris femelles naïves (n’ayant pas encore eu d’accouplement ni mis bas) rétrocroisées dérivées d’individus sauvages nourrissent le nouveau-né d’une autre femelle rencontrée. Elles ont même été agressives envers ces nouveaux-nés, et même l’une envers l’autre, exactement comme des souris sauvages.
Ce nouveau modèle de souris, créé par la Dr Kimchi et son groupe, a permis d’explorer, pour la première fois, les racines biologiques du comportement agressif de femelles, que ce soit l’une envers l’autre, ou plus spécialement envers les nouveaux nés d’autres mères. Il leur a aussi permis de repérer un gène particulier responsable de la perception des signaux des phéromones, et de constater qu’il est la cause essentielle du rejet du nouveau-né d’une étrangère, et aussi du comportement agressif qu’elles montrent envers lui. Il s’avère que la mère d’un nouveau-né est pour lui la seule personne au monde, et que les femelles ont un comportement agressif envers la progéniture d’une autre. Ces résultats, publiés dans la revue Nature Communications, serviront de base au développement de nouvelles souches de souris qui permettront de mieux comprendre les bases neurales et génétiques du comportement lié à la reproduction chez les femelles, et les différences entre les mâles et les femelles.
Le Dr Kimchi espère que de futures recherches mèneront, à l’avenir, vers une compréhension renouvelée des mécanismes biologiques sous-jacents aux processus sociaux et génésiques, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent pour l’étude des modèles standards de souris de laboratoire.
Publication dans nature communications, 5 août 2014, « Mapping ecologically relevant social behaviours by gene knockout in wild mice »
La recherche de la docteure Tali Kimchi est financée par : Nella and Leon Benoziyo Center for Neurological Diseases ; Murray H. & Meyer Grodetsky Center for Research of Higher Brain Functions ; Joan and Jonathan Birnbach Family Laboratory Fund ; Abish Frankel Foundation for the Promotion of Life Sciences ; Peter and Patricia Gruber Awards ; Mike and Valeria Rosenbloom par l’intermédiaire de la Mike Rosenbloom Foundation ; la succession de Fannie Sher ; Irving B. Harris Fund for New Directions in Brain Research. La docteure Kimchi est titulaire de la Jenna and Julia Birnbach Family Career Development Chair.
L’Institut Weizmann des Sciences situe à Rehovot, en Israël, est l’un des centres de recherche scientifique et d’études diplômées les plus avances du monde. Reputé pour ses vastes recherches en sciences naturelles et exactes, l’Institut accueille 2.700 scientifiques, étudiants, techniciens, et membres du personnel. L’Institut concentre ses efforts de recherche sur les nouveaux moyens de lutte contre la maladie et la faim, l’examen de questions primordiales dans les mathématiques, les sciences de l’informatique, l’exploration de la physique des matières et de l’univers, la création de nouveaux matériaux et le développement de nouvelles stratégies pour la protection de l’environnement.