Les neurosciences résultent d’une longue histoire de progrès, de revers et de changements de paradigmes. Cependant, certains sujets ont remarquablement bien résisté à ces remises en question. C’est le cas du modèle de l’activité neuronale établi depuis plus de 100 ans. Toutefois, une équipe de biophysiciens de l’Université israélienne Bar-Ilan a récemment démontré que ce modèle était incorrect.
L’estimation du nombre de neurones dans le cerveau humain est comprise entre 86 et 100 milliards. Ces neurones communiquent entre eux en établissant plusieurs milliards de milliards de connexions – les « synapses ». Le comportement individuel des neurones, et plus précisément la manière dont ils génèrent et traitent les signaux électriques, fait l’objet d’un modèle majoritairement entériné par la communauté scientifique et proposé il y a plus de 100 ans.
Après avoir conduit plusieurs expériences sur des neurones de rat cultivés in vitro, l’équipe de chercheurs de Bar-Ilan a déterminé comment les neurones répondent aux signaux provenant d’autres neurones. Et les données recueillies contredisent le modèle historiquement admis.
En 1907, le neurobiologiste français Louis Lapicque propose un modèle décrivant la manière dont le voltage d’une membrane cellulaire évolue en fonction du courant qui la traverse. Les neurones additionnent les différents signaux (sommation) qu’ils reçoivent puis, parvenus à un certain seuil, ils atteignent un pic d’activité déclenchant la production d’une réponse sous la forme de signal électrique, puis le voltage de la membrane redevient nul. Ainsi, Lapicque montre qu’un neurone ne produit un signal que si sa membrane est suffisamment chargée. Si les équations de Lapicque ont été modifiées et réinterprétées par la suite, les bases de son modèle sont restées relativement incontestées et ont été incorporées aux descriptions suivantes.
L’hypothèse du scientifique français constitue aujourd’hui le socle de la plupart des modèles neuronaux. Selon les auteurs de l’étude, la longue histoire de ce modèle justifie le fait que peu de scientifiques se soient véritablement aventurés à le questionner. « Nous avons obtenu ces résultats grâce à de nouveaux instruments expérimentaux, mais en pratique ils auraient pu être obtenus via la technologie qui existait déjà dans les années 1980 » explique Ido Kanter, biophysicien à Bar-Ilan et auteur principal de l’étude. « La croyance en ce modèle a été enracinée dans la communauté scientifique pendant plus de 100 ans, résultant en des dizaines d’années de retard ».
Pour ce faire, les chercheurs ont abordé la question sous deux angles différents. L’un explorant la nature du pic d’activité en fonction de l’endroit exact où le courant arrive dans le neurone, l’autre explorant l’effet de multiples apports de courant sur l’activité d’un nerf. Les résultats suggèrent que la direction du signal reçu par un neurone, conditionne spécifiquement la réponse de celui-ci. Contrairement au modèle de Lapicque, dans lequel la direction du signal est indifférente. Un faible signal arrivant de la gauche et un faible signal arrivant de la droite ne se combineront pas pour donner le voltage suffisant au déclenchement du pic d’activité. Cependant, un seul signal fort dans une direction particulière suffit à son déclenchement.
Cette nouvelle description de la sommation spatiale des signaux pourrait aboutir à une nouvelle classification des neurones basés sur la façon dont ils traitent les signaux reçus en fonction de leur direction. En outre, cela pourrait déboucher sur une meilleure compréhension de certains troubles neurologiques. Cependant, les auteurs restent prudents. Ils rappellent que leur découverte n’a porté que sur un type de neurone, les neurones pyramidaux, et qu’une seule étude ne doit pas conduire à rejeter en bloc 100 ans de connaissances sur le sujet.
Toutefois, étudier et approfondir la manière dont les comportements complexes émergent de la combinaison d’unités individuelles est extrêmement intéressant et pourrait permettre de développer des intelligences artificielles plus réactives et optimisées. En effet, nombre de technologies utilisent aujourd’hui les réseaux neuronaux artificiels. De tels résultats offrent la possibilité de rendre ces derniers plus précis, efficaces et rapides.
Auteur : Thomas Boisson pour Trust my science et Scientific Reports