Selon une étude réalisée dans le laboratoire du Prof. Oded Rechavi de l’École de neurobiologie, biochimie et biophysique et de l’Ecole des neurosciences de l’Université de Tel-Aviv, par les doctorants Rachel Posner et Itai Toker, les souvenirs enregistrés par les cellules nerveuses peuvent être transmis aux générations suivantes par des molécules de transport du matériel héréditaire de type « petits ARN », sans passer par l’ADN.
Selon les chercheurs, « l’étude constitue un pas important dans le déchiffrement des mécanismes de l’épigénétique, transmission héréditaires de caractéristiques acquises qui ne sont pas codées dans notre ADN ».
« Les caractéristiques acquises au cours de la vie peuvent-elles être héritées par les prochaines générations ? C’est une question controversée depuis près de 200 ans parmi les scientifiques. À ce jour, l’un des organismes les plus couramment utilisé pour les études sur ce sujet est un minuscule ver transparent appelé C. elegans. Pas moins de six prix Nobel ont été attribués pour des études sur ce ver depuis l’année 2000″, explique Oded Rechavi.
Famine, résistance aux virus : l’hérédité ne passe pas seulement par l’ADN
Précédemment, le Prof. Rechavi et son équipe avaient découvert que ces vers pouvaient transmettre à leur progéniture, sur plusieurs générations, au moins deux traits acquis au cours de leur vie : la résistance aux virus et la mémoire de la famine. Cela signifie que, contrairement à la conception qui domine depuis des décennies, l’hérédité ne passe pas seulement par le biais de l’ADN, mais aussi par d’autres mécanismes génétiques capables de transférer à la progéniture des traits acquis au cours de la vie.
« Nous avons constaté que la résistance aux virus et la mémoire de l’état nutritionnel des parents sont transmises à la descendance par le biais de l’ARN, ou plutôt par de petites molécules d’ARN capables de migrer et de transférer des informations héréditaires de cellule en cellule. Le rôle de ces molécules est de faire s’exprimer les gènes de l’ADN correctement et au bon endroit du corps. Grâce à elles par exemple, bien que le code de l’ADN soit identique dans toutes les cellules, l’œil possède des gènes visuels et le genou d’autres gènes qui sont responsables de son fonctionnement spécifique », déclare le Prof. Rechavi.
Les chercheurs ont cherché à déterminer si la mémoire encodée tout au long de la vie dans les neurones du cerveau pouvait être transmise aux générations futures à l’aide de ces petites molécules d’ARN. À cette fin, ils ont créé des vers qui ne produisaient pas un certain type d’ARN appelés endo-siRNA, cette déficience les rendant incapables, entre autres, de trouver leur nourriture en se servant de leur odorat. Ils ont ensuite rendu au seul système nerveux de ces vers la faculté de produire ces endo-siARN, et les vers ont effectivement récupéré leur capacité de localiser de la nourriture. Les chercheurs ont également constaté que les molécules d’endo-siARN produits dans les cellules nerveuses atteignaient aussi d’autres tissus du corps chez le ver et y affectaient également l’expression génique.
Le petit pois de l’hérédité épigénétique
Restait à vérifier si les molécules d’endo-ARNs produites par le système nerveux de ces vers, était capables de passer vers les cellules sexuelles, et de là aux générations futures ? « La réponse fournie par l’étude a été positive. La progéniture de ces vers, dont l’ADN ne produisait pas cette molécule, a hérité cette caractéristique de leurs parents par hérédité et a su identifier les aliments par leur odeur et s’en rapprocher », répond le Prof. Rechavi.
Le Prof. Rehavi ajoute : « L’hérédité qui ne passe pas par les changements de séquences de l’ADN s’appelle l’épigénétique, domaine qui prend une grande ampleur dans la recherche ces dernières années. Dans notre étude nous avons franchi un nouveau pas important vers une compréhension approfondie des processus et des mécanismes de cette forme d’hérédité. Nous ne savons pas encore si le processus que nous avons découvert se produit également chez l’homme, mais si c’était le cas, toutes nos découvertes pourraient avoir des implications de grande portée. Il y a plus de cent ans, les scientifiques ont découvert le fonctionnement de l’hérédité génétique par l’ADN grâce à une étude sur les petits pois et sur les mouches. Nous espérons que le ver sur lequel nous travaillons sera le petit pois de l’hérédité épigénétique ».
Publication dans Cell, 6 juin 2019
Auteur : Sivan Cohen-Wiesenfeld, PhD, Rédac’chef de la newsletter des Amis français de l’Université de Tel Aviv