Un état nouveau identifié dans les bactéries indique des implications majeures pour le traitement aux antibiotiques et contre les souches résistantes. Depuis près de deux ans, les journaux nous informent de la bataille quotidienne pour éradiquer le coronavirus. Ainsi, on a tendance à oublier qu’il existe de nombreux types de bactéries menaçant la santé humaine, notre survie dépendant de la recherche constante de nouveaux antibiotiques capables de les détruire. Des recherches récentes fournissent un aperçu important de la réponse complexe des bactéries aux antibiotiques et ouvrent la possibilité de développer une nouvelle classe de médicaments plus efficace pour lutter contre les principales maladies bactériennes.
Les antibiotiques se divisent en deux catégories : les médicaments bactéricides qui tuent les bactéries et ceux qui sont bactériostatiques. Ces derniers perturbent le fonctionnement normal des bactéries afin qu’elles ne puissent plus se multiplier, laissant notre système immunitaire porter le coup fatal. Les deux antibiotiques poussent les bactéries vers un état de mort imminente avant leur élimination finale. Sous ce stress potentiellement mortel, selon des recherches menées à l’Université Hébraïque de Jérusalem (UHJ), dirigées par le Pr Nathalie Balaban-Questembert et le doctorant Yoav Kaplan, les bactéries entrent dans un état « perturbé » lorsqu’elles fonctionnent très différemment des bactéries normales.
Lorsque le stress est éliminé, les bactéries ne disparaissent pas et ne meurent pas, mais finissent par se rétablir et se reproduire – chaque cellule individuelle se comportant différemment de ses cellules voisines génétiquement identiques. Lorsqu’elles sont à l’état « perturbé », les bactéries ne répondent pas à notre arsenal actuel d’antibiotiques, qui n’ont été conçus que pour traiter les bactéries dans leur état normal. « Les bactéries à l’état perturbé nécessitent un traitement différent de notre arsenal actuel d’antibiotiques », a expliqué le Pr Balaban-Questembert. « Nous commençons maintenant à rechercher de nouveaux principes capables de vaincre les bactéries pendant l’état perturbé ».
Alors que les bactéries sont des organismes unicellulaires, elles sont extraordinairement complexes. Comme les cellules individuelles de tout organisme, elles sont capables de s’autoréguler lorsqu’elles sont soumises à divers stress. Par exemple, si vous augmentez la température, les bactéries produiront des protéines qui protègent la cellule de la chaleur. Restreindre leur apport en nutriments et les cellules s’adapteront afin qu’elles puissent survivre et repousser lorsque les nutriments deviennent disponibles. Beaucoup de ces réponses ont été analysées et les mécanismes adoptés par la cellule sont bien compris. Cependant, lorsque le stress est soudain et sévère, ces réponses ne se déclenchent pas et les mécanismes contrôlant le comportement des cellules restent un mystère. L’équipe du Pr Balaban-Questembert avait déjà montré qu’une sous-population de bactéries entrera dans un état gelé ou dormant lorsqu’elle est soumise à la famine et finira, dans un environnement riche en nutriments, à se rétablir complètement et à repousser.
Ces bactéries persistantes sont très différentes des bactéries résistantes, qui ont développé une mutation génétique qui les empêche de succomber à un antibiotique particulier. De plus, malgré des recherches approfondies, il n’y a pas de compréhension claire des mécanismes contrôlant la persistance. Afin de développer un modèle capable de prédire le comportement des bactéries confrontées à des conditions dramatiques de mort imminente, l’équipe du Pr Balaban-Questembert a étudié le comportement de cellules individuelles d’une souche d’E. coli, des bactéries couramment utilisées dans les travaux expérimentaux en laboratoire. Les variantes sauvages de cette bactérie peuvent provoquer de graves infections gastro-intestinales avec des complications potentiellement mortelles.
Les cellules prospères ont reçu une dose d’un produit chimique (SHX) qui induit immédiatement la famine. Ce stress aigu, comme une forte dose d’antibiotiques, ne permet pas aux cellules de déclencher une réponse adaptative. Le SHX a été appliqué pour différentes durées dans des expériences séparées. Après le retrait du SHX, la récupération de cellules individuelles a été observée. Les cellules n’ont pas toutes récupéré au même rythme, ce à quoi on pourrait s’attendre dans des cellules génétiquement identiques. Au lieu de cela, certaines cellules se sont rétablies rapidement, en moins d’une heure, tandis que d’autres ont pris beaucoup plus de temps, parfois jusqu’à une journée.
La durée du temps de récupération dépendait également de la durée d’application de la dose initiale de SHX, bien qu’il existe une dose maximale au-delà de laquelle toute augmentation du temps d’application du SHX n’a aucun effet sur les temps de récupération des cellules bactériennes. Le Pr Balaban-Questembert a expliqué que « cela suggérait que la bactérie garde une mémoire de l’exposition totale au SHX ». Les taux de récupération ont clairement montré que le processus n’était pas aléatoire. En fait, ils semblaient similaires aux taux observés dans certains processus physiques qui montrent une récupération après la suppression d’une contrainte externe, observés, par exemple, dans certains plastiques.
En utilisant cette analogie, l’équipe du Pr Balaban-Questembert, en collaboration avec le Pr Oded Agam (UHJ), expert en physique statistique, a pu modéliser l’état perturbé et prédire le comportement des populations de cellules dans cet état. Mais surtout, ce modèle permet de prédire comment une population bactérienne réagira à un traitement antibiotique. Selon le Pr Balaban-Questembert, une meilleure compréhension de l’état perturbé des bactéries « ouvre de nouvelles voies pour le développement de meilleurs traitements qui permettront de tuer non seulement les bactéries dans leur état normal, mais aussi lorsqu’elles entrent dans l’état perturbé insaisissable ». À l’avenir, des effets similaires pourraient être exploités pour tuer plus efficacement les cellules cancéreuses.
Publication dans Nature,
Traduit et adapté par Esther Amar pour Israël Science Info