Arthur Robin, auteur pour le BVST, rend hommage à Stephen Hawking, le célèbre physicien décédé en mars 2018, et revient sur « l’affaire du Trou Noir », histoire d’une dispute avec le physicien israélien Jacob Bekenstein (alors étudiant en doctorat) qui mena à une découverte révolutionnaire sur les trous noirs. Ce différent a changé la science des trous noirs et continue à inspirer des chercheurs en Israël, comme le Pr Jeff Steinhauer du Technion.
Revenons tout d’abord là où tout a commencé, à la prestigieuse université de Princeton, aux Etats-Unis. En 1970, le Dr. Stephen Hawking est alors un jeune et talentueux professeur de physique théorique, reconnu pour ses travaux sur les trous noirs, ces objets célestes dont l’existence fut théorisée par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité. Dans le même département, un étudiant mexicain, Jacob Bekenstein, alors en doctorat en physique théorique, décide de travailler lui aussi sur les trous noirs aux propriétés si particulières. De ses travaux résultera un conflit qui l’opposera au Dr. Hawking, jusqu’à que ce dernier reconnaisse non seulement son erreur, mais confirme également l’hypothèse de Bekenstein, révolutionnant aux passages la compréhension théorique de ces objets célestes.
Que proposa Jacob Bekenstein ? Il choisit de généraliser la seconde loi de la thermodynamique aux trois noirs et fut l’un des premiers à suggérer que les trous noirs possédaient une entropie définie et que celle-ci était proportionnelle à la taille des trous noirs (la taille ici faisant référence à la surface de son horizon). Seconde loi de la thermodynamique ? Entropie ? Trou noir ? Tout cela peut vous sembler flou au point que le pointeur de votre souris se rapproche dangereusement du bouton de fermeture de votre navigateur internet, mais nous allons vous expliquer ce que cela signifie.
L’entropie permet de décrire l’état d’un système, ou plutôt le nombre d’états que peut prendre un système. Cette valeur est souvent liée à la notion de « désordre », car un objet peut prendre beaucoup plus d’états « désordonnés » que d’états ordonnés, donc les objets ont statistiquement plutôt tendance à être désordonnés qu’ordonnés ; par exemple, mélangez des billes rouges et bleus dans un bol : la probabilité que les billes soient parfaitement séparées par couleur est très faible. Cette notion explique aussi pourquoi, lorsque l’on met un objet chaud en contact avec un objet froid, la chaleur va diffuser de l’objet chaud vers l’objet froid, et non l’inverse : cela est certes intuitif, mais sans que l’on puisse l’expliquer. L’entropie est en fait intimement liée à la température et à l’énergie d’un objet physique.
En bref, un objet physique possède un certain désordre, qui est lié à sa composition et à l’énergie totale contenue dans cet objet. Si l’objet subit une transformation quelconque, cette transformation va impacter le « désordre » des atomes le constituant, de telle façon que la nouvelle valeur de désordre sera identique à la valeur initiale si cette transformation est réversible (i.e. il est possible de revenir à l’état initial, car il n’y a pas de pertes d’énergies « utiles », donc on ne créé pas d’entropie), ou supérieure à l’entropie initiale si la transformation est irréversible (i.e. une partie de l’énergie initiale est « perdue », dans le sens où elle diffuse en dehors de l’objet). La variation d’entropie d’un objet est donc forcément nulle ou positive : c’est la seconde loi de la thermodynamique. Elle peut être négative dans certain cas, mais uniquement localement, c’est-à-dire que l’on peut réduire l’entropie d’un objet, mais que cela implique de créer plus d’entropie autre part (en utilisant une source d’énergie extérieure par exemple). De fait, l’entropie de l’univers est en constante augmentation. Mais revenons à nos moutons (noirs).
Un trou noir est, selon la relativité d’Albert Einstein, une singularité, un objet infiniment petit au point d’avoir un rayon nul, mais dont la masse est colossal. Cette masse est telle que toutes les molécules passant à proximité peuvent être « happées » par le trou noir et que ces forces d’attractions atteignent à un certain point une telle valeur que les particules de lumière elles-mêmes sont englouties. De ce fait, un trou noir absorbe les particules passant dans sa zone d’influence et n’émet donc aucune particule et notamment aucune lumière, d’où le nom de « trou noir ». De ce fait, la seule « chose » qui sort d’un trou noir est la formidable attraction gravitationnelle qu’exerce celui-ci. Cette attraction est liée aux ondes gravitationnelles, mais il s’agit d’un autre sujet tout aussi passionnant et parfaitement d’actualité (voir la brève de janvier dernier : « Un si précieux signal : les ondes gravitationnelles émises lors de la fusion de 2 étoiles à neutrons », lien en fin d’article).
Or, l’entropie d’un objet physique est, comme on l’a dit ci-dessus, liée à l’énergie et à la température de ce même objet. L’entropie d’un trou noir est donc liée à sa température et à son énergie. Ainsi, lorsque J. Bekenstein suggère qu’un trou noir possède une entropie, cela sous-entend que le trou noir a une énergie et une certaine température. C’est ici que débute le conflit l’opposant au Dr Hawking. En effet, tout corps doté d’une température émet un rayonnement. Or, selon la définition d’un trou noir et des travaux du Dr. Hawking de cette époque, un trou noir n’émet aucun rayonnement. Pourtant, le doute est né et l’idée plantée par J. Bekenstein va peu à peu germer dans l’esprit du Dr. Hawking. Il décide donc de s’atteler à prouver que J. Bekenstein a tort, car rappelons-le, la physique théorique à cette époque est en pleine expansion après les travaux d’Albert Einstein (et elle l’est encore) et que cette propriété des trous noirs n’avait pas encore été étudiée en profondeur.
Or, au fil des calculs (dont nous vous faisons grâce), M. Hawking découvrit quelques années plus tard que J. Bekenstein avait bien raison et que les trous noirs émettaient bien un rayonnement, qu’il décrivit avec précision. Ce rayonnement, purement théorique, fut nommé « rayonnement Hawking-Bekenstein » et la découverte eut un fort retentissement dans le monde de la physique.
Stephen Hawking continua à travailler dans la physique théorique, à sa vulgarisation et à de nombreux autres sujets ; il reçut notamment le prestigieux Prix Wolf en Israël en 1988, récompensant les plus importantes contributions en physique. Il fit tout cela tout en se battant contre sa maladie et ce, jusqu’à son décès le 13 mars 2018.
Jacob Bekenstein devint également un prestigieux physicien en Israël, à l’Université Ben Gourion du Néguev, puis à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il obtint de nombreux prix pour ces travaux (dont le Prix Wolf en 2012) et continua ses recherches jusqu’à sa mort en 2015.
Aujourd’hui, une nouvelle génération de physiciens, expérimentaux cette fois, s’attèle à prouver les théories de ces génies de la physique par la preuve de l’expérience. C’est le cas par exemple du Pr Jeff Steinhauer du Technion, qui travaille principalement sur les émissions Hawking-Bekenstein et dont l’équipe a publié de nombreux articles scientifiques sur ce sujet, le dernier dans la prestigieuse revue Nature Physics en 2016.
Sources :
• Article du New York Times sur M. Bekenstein (en anglais)
• Page Wikipédia du Dr. Bekenstein
• Page Wikipédia du rayonnement d’Hawking (la version anglaise est plus complète)
• Page Wikipédia « trou noir »
• Site du Pr Jeff Steinhauer du Technion (en anglais)
En savoir plus :
• Sur la biographie et les travaux de Stephen Hawking (en anglais)
• Page Wikipédia vers L’entropie
• Page Wikipédia vers la thermodynamique et ses lois
• Vidéo explicative sur l’entropie par les Shadok
• Vidéo explicative sur l’entropie (en anglais)
• Brève sur les ondes gravitationnelles
Rédacteur : Arthur Robin, doctorant à l’Université de Tel Aviv pour le BVST