L’univers a environ 13 milliards d’années, un temps inconcevable à l’échelle humaine. Pourtant, comparé à certains processus physiques, ce n’est qu’un bref moment. Il existe des noyaux radioactifs qui se désintègrent sur des échelles de temps beaucoup plus longues. Une équipe internationale de scientifiques a mesuré directement la plus longue demi-vie jamais enregistrée. À l’aide du détecteur XENON1T, principalement utilisé pour la recherche de matière noire, les chercheurs ont réussi à observer pour la première fois la désintégration d’atomes de Xénon-124.
XENON1T est un projet expérimental conjoint qui rassemble environ 160 scientifiques d’Europe, des États-Unis et du Moyen-Orient, dont Israël (Institut Weizmann des Sciences). Parmi les participants français figurent les laboratoires Subatech (CNRS/IN2P3 – IMT Atlantique – Université de Nantes), LPNHE (CNRS/IN2P3 – Sorbonne Université) et LAL (Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire, Université Paris-Sud, CNRS/IN2P3, Université Paris-Saclay, F-91405 Orsay, France).
La demi-vie d’un processus est le temps après lequel la moitié des atomes radioactifs présents dans un échantillon s’est désintégrée. La demi-vie mesurée pour le Xénon-124 est environ un million de milliards de fois plus longue que l’âge de l’univers – un record mondial. Cela rend la décroissance radioactive observée, appelée double capture électronique du Xénon-124, le processus le plus rare jamais observé dans l’univers. «Le fait que nous ayons pu observer directement ce processus montre à quel point notre méthode de détection est puissante, y compris pour les signaux qui ne proviennent pas de la matière noire», déclare le professeur Christian Weinheimer de l’Université de Münster (Allemagne), où une grande partie de l’étude a été réalisée. En outre, le nouveau résultat fournit également des informations pour des investigations ultérieures sur les neutrinos, les plus légères de toutes les particules élémentaires dont la nature n’est pas encore totalement comprise.
Un détecteur de matière noire très sensible
Le laboratoire italien LNGS, où les scientifiques recherchent actuellement des particules de matière noire, est situé à environ 1 500 mètres sous le massif du Gran Sasso, à l’abri de la radioactivité qui pourrait produire de faux signaux. Les modèles théoriques prédisent que la matière noire devrait très rarement «entrer en collision» avec les atomes du détecteur. Cette hypothèse est fondamentale dans le principe de fonctionnement du détecteur XENON1T : sa partie centrale consiste en un réservoir cylindrique d’environ un mètre de long, contenant 3 500 kilogrammes de xénon liquide à une température de -95 ° C. Lorsqu’une particule de matière noire interagit avec un atome de xénon, elle transfère de l’énergie au noyau de l’atome qui excite par la suite d’autres atomes de xénon. Cela conduit à l’émission de faibles signaux de lumière ultraviolette qui sont détectés au moyen de capteurs de lumière très sensibles situés dans les parties supérieures et inférieures du cylindre. Les mêmes capteurs détectent également une quantité minime de charge électrique libérée par le processus de collision.
Cette nouvelle étude montre que le détecteur XENON1T est également capable de mesurer d’autres phénomènes physiques rares, tels que la double capture électronique. Pour comprendre ce processus, il faut savoir qu’un noyau atomique est constitué normalement de protons chargés positivement et de neutrons neutres, qui sont entourés de plusieurs coquilles atomiques occupées par des électrons chargés négativement. Le Xénon-124, par exemple, a 54 protons et 70 neutrons. Dans la double capture électronique, deux protons du noyau «capturent» simultanément deux électrons de la coquille atomique la plus interne, se transforment en deux neutrons et émettent deux neutrinos. Les autres électrons atomiques se réorganisent pour combler les deux trous de la coquille la plus interne. L’énergie libérée dans ce processus est emportée par des rayons X et des électrons dits Auger. Cependant, ces signaux sont très difficiles à détecter, car la double capture électronique est un processus très rare qui est masqué par les signaux de la radioactivité «normale» omniprésente.
La mesure
C’est ainsi que la collaboration XENON a accompli cette mesure : les rayons X issus de la double capture électronique dans le xénon liquide ont produit un premier signal lumineux ainsi que des électrons libres. Les électrons ont été déplacés vers la partie supérieure du détecteur remplie de gaz où ils ont généré un second signal lumineux. La différence de temps entre les deux signaux correspond au temps nécessaire aux électrons pour atteindre le sommet du détecteur. Les scientifiques ont utilisé cet intervalle et les informations fournies par les capteurs mesurant les signaux pour reconstruire la position de la double capture électronique. L’énergie libérée dans la désintégration a été déduite de la force des deux signaux. Tous les signaux du détecteur ont été enregistrés sur une période de plus d’un an, cependant ils n’ont pas été observés dans un premier temps, car l’expérience a été menée en aveugle. Cela signifie que les scientifiques ne pouvaient pas accéder aux données de la région en énergie concernée jusqu’à la finalisation de l’analyse, afin de s’assurer que les attentes personnelles n’influenceraient pas les résultats de l’étude. Grâce à la compréhension détaillée de toutes les sources pertinentes de signaux de fond, il est devenu clair que 126 événements observés dans les données ont bien été causés par la double capture électronique du Xenon-124.
À l’aide de cette toute première mesure, les physiciens ont calculé la demi-vie extrêmement longue de 1,8 x 10²² ans pour ce processus. Les résultats montrent dans quelle mesure le détecteur XENON1T peut détecter les processus rares et rejeter les signaux de fond. Alors que deux neutrinos sont émis dans le cadre du processus de double capture électronique, les scientifiques peuvent désormais également rechercher la double capture électronique sans neutrinos, qui pourrait éclairer des questions importantes concernant la nature des neutrinos.
Statut et perspectives
XENON1T a enregistré des données de 2016 jusqu’à décembre 2018, où il a ensuite été arrêté. Les scientifiques sont actuellement en train de mettre à niveau l’expérience pour la nouvelle phase «XENONnT», qui comportera une masse de détecteur actif trois fois plus grande. Grâce à un niveau de bruit réduit, la sensibilité du détecteur sera amplifiée d’un ordre de grandeur.
Publication dans Nature
Enrichissements/adaptation Esther Amar pour Israël Science Info
En savoir plus :
L’expérience XENON a été financée par le Fonds national pour la science, le Fonds national suisse pour la science, le ministère allemand de l’Education et de la Recherche (BMBF), Max Planck Gesellschaft, la Fondation allemande pour la recherche (DFG), l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique, le NLeSC, l’Institut Weizmann des Sciences (Israël), I-CORE, Pazy-Vatat, Réseau de formation initiale invisibles, Fundacao para Ciencia ea Tecnologia, la Région des Pays de la Loire, Knut et Alice Wallenberg Fondation, Fondation Kavli, la Bourse d’études supérieures Abeloe et Istituto Nazionale di Fisica Nucleare.
IMT Atlantique est une grande école d’ingénieurs généralistes (parmi les 400 premières universités du monde du THE World University Ranking 2019, en 3e position des écoles d’ingénieur de France), reconnue internationalement pour sa recherche (présente dans 4 disciplines des classements de Shanghaï, de QS et de THE). Elle appartient à l’Institut Mines-Télécom et dépend du ministère en charge de l’industrie et du numérique.
Disposant de 3 campus, à Brest, Nantes et Rennes, d’un incubateur présent sur les 3 campus, ainsi que d’un site à Toulouse, IMT Atlantique a pour ambition de conjuguer le numérique, l’énergie et l’environnement pour transformer la société et l’industrie par la formation, la recherche et l’innovation et d’être, à l’international, l’établissement d’enseignement supérieur et de recherche français de référence dans ce domaine.
IMT Atlantique propose depuis septembre 2018 une nouvelle formation d’ingénieurs généralistes. Les étudiants sont recrutés sur le concours Mines-Ponts. L’École délivre par ailleurs deux diplômes d’ingénieur par la voie de l’apprentissage, des diplômes de masters, mastères spécialisés et doctorats.
Les formations d’IMT Atlantique s’appuient sur une recherche de pointe, au sein de 6 unités mixtes de recherche (avec le CNRS, l’INRIA, l’INSERM, des universités ou écoles d’ingénieur), dont elle est tutelle : GEPEA, IRISA, LATIM, LABSTICC, LS2N et SUBATECH. L’école s’appuie sur son excellence en recherche dans ses domaines phares (énergie et numérique, cybersécurité, environnement et numérique, industrie du futur, nucléaire, santé et numérique, risques et interactions) et en couplant les domaines scientifiques pour répondre aux défis de demain : transition numérique, transition environnementale, transition industrielle, transition énergétique, santé du futur et recherche fondamentale.
L’École est membre de l’institut Carnot M.I.N.E.S (Méthodes Innovantes pour l’Entreprise et la Société), de l’institut Carnot Télécom & Société Numérique (TSN) et membre fondateur de la communauté d’universités et d’établissements Université Bretagne Loire.