Selon le Prof. Rennan Barkana, chef du Département d’Astronomie de l’Université de Tel-Aviv, l’analyse de l’intrigant signal radio datant du début de l’univers récemment capté par des chercheurs de l’Université d’Arizona, apporte la première preuve tangible de l’existence de la fameuse matière noire invisible qui constitue 80% de notre univers. La communauté des astrophysiciens dans le monde est en ébullition ces jours-ci suite à une double découverte particulièrement surprenante: tout d’abord, la première réception d’un signal radio datant d’une époque obscure dans l’histoire de l’Univers : celle de la formation des premières étoiles et galaxies. Mais peut-être plus important encore, les propriétés étonnantes de ces ondes radio éclairent un autre grand mystère : celui de l’existence de la matière noire.
Les ondes des premières étoiles
« La matière noire est une matière que nous ne pouvons pas observer directement comme le monde physique qui nous entoure, que ce soit les particules et les atomes, ou les étoiles et les galaxies », explique le Prof. Barkana. « Jusqu’à présent, la seule preuve de son existence était la force de gravité qu’elle exerce sur la matière qui l’entoure, et qui explique une variété de phénomènes de l’univers. Par exemple : les forces gravitationnelles font que notre galaxie, la Voie Lactée, tourne en spirale à une vitesse énorme ; mais la masse de matière observée et mesurée ne suffit pas à expliquer cette vitesse. L’hypothèse est que la masse manquante est celle de la matière noire. En fait, selon les calculs effectués par les astronomes, la matière noire compterait pour plus de 80% de toute la matière de l’univers, et les chercheurs du monde entier tentent de trouver des preuves concrètes de son existence »,
La découverte publiée par le Prof. Barkana a commencé par la réception d’une onde radio particulière par le radiotélescope EDGES en Australie, dans le cadre d’une étude menée par des chercheurs de l’Université d’Arizona aux Etats-Unis. « De tels télescopes sont conçus pour capter des signaux radio à partir du début de l’univers », explique le Prof. Barkana. « Selon la longueur de l’onde, on peut savoir de quelle période il provient dans l’histoire de l’univers. Le signal particulier capté par EDGES est le premier qui nous soit parvenu à partir d’une période intrigante, sur laquelle nous savons peu de choses : l’ère à laquelle les étoiles et les galaxies ont commencé à se former il y a 13,8 milliards d’années. Cependant, le signal capté était d’une puissance significativement plus grande que prévu, et les chercheurs américains se sont donc demandé pourquoi, et se sont adressé à moi pour obtenir la réponse à cette question ».
Un refroidissement absolu au contact de la matière noire
Selon le Prof. Barkana, la puissance surprenante du signal radio est liée à la température des atomes d’hydrogène qui flottaient dans l’espace à cette époque ancienne, température très froide, d’environ 10 degrés au-dessus du zéro absolu, soit moins 263 degrés Celsius, car l’univers n’était pas encore réchauffé par le rayonnement des soleils (les étoiles) qui n’avaient pas encore été créés. Ces atomes d’hydrogène absorbaient les ondes radio émis par les rayons cosmiques, et plus ces ondes étaient froides, plus elles étaient absorbées. Les radiotélescopes qui captent aujourd’hui les signaux du début de l’univers, mesurent en réalité cette absorption.
« L’intensité de l’absorption du signal radio capté par le télescope témoigne du fait que la température de l’hydrogène à cette époque ancienne était encore plus basse que le minimum estimé jusqu’alors possible », explique le Prof. Barkana. « La seule explication à ce refroidissement supplémentaire est un transfert d’énergie vers une matière encore plus froide, la seule candidate à l’absorption de cet excès d’énergie des atomes d’hydrogène étant la matière noire, dont la température au début de l’univers était encore plus proche du zéro absolu ». Ainsi la découverte prouve que la matière noire existe vraiment, et plus encore, qu’elle est composée de particules qui sont entrées en collision avec les atomes d’hydrogène et en ont absorbé l’énergie. Contrairement aux spéculations antérieures, ces particules sont probablement des particules légères, pas beaucoup plus lourdes que les atomes d’hydrogène.
« La recherche sur l’absorption et le décodage des ondes de l’univers est un domaine actif et en pleine croissance », conclut le Prof. Barkana. « Actuellement on construit dans le monde des radiotélescopes plus sophistiqués, en particulier le SKA, qui sera le plus grand radiotélescope du monde. Nous pensons que, grâce à lui, nous pourrons capter d’autres ondes radio indiquant l’existence de la matière noire, et je prévois qu’ils répondront à un modèle distinct, immédiatement reconnaissable. Nous pouvons certainement nous attendre à beaucoup d’autres observations et découvertes fascinantes ! ».
Auteur : Sivan Cohen-Wiesenfeld, PhD, Rédac’chef de la newsletter Université de Tel-Aviv/AFAUTA
Publication dans Nature, le 28 février 2018