Universités Bar-Ilan et de Jérusalem : les petits écosystèmes ont des liens forts, les grands systèmes ont des liens faibles

Comprendre les interactions sous-jacentes dans les écosystèmes est important pour préserver à la fois la santé humaine et l’environnement. L’Université Bar-Ilan a calculé le niveau de connectivité dans les écosystèmes des communautés bactériennes, et fournit la première preuve d’une vieille théorie : dans la nature, les écosystèmes ont peu d’espèces avec des liens forts, ou de nombreuses espèces avec des liens faibles, comme dans une coalition gouvernementale. 

Comprendre les lois écologiques qui régissent les populations bactériennes chez l’homme et dans le monde est très important tant pour le développement de traitements médicaux que pour la préservation de l’environnement. Le sujet de cette recherche, qui est généralement étudié par des chercheurs en sciences de la vie, est un exemple d’une tendance croissante ces dernières années vers la recherche multidisciplinaire, dans laquelle des problèmes complexes sont explorés par des experts de diverses disciplines. Dans cette étude, les physiciens ont utilisé des outils des domaines de la physique statistique, de la dynamique non linéaire, de la science des réseaux et de la science des données pour étudier des problèmes caractérisés par de grandes quantités de données (big data), dont les réseaux dans les populations bactériennes ou diverses interactions humaines ne sont qu’une partie.

Le principe des coalitions dans la nature

Les coalitions gouvernementales se dissolvent souvent lorsque trop de partis sont en désaccord sur trop de questions. Même si une coalition semble stable pendant un certain temps, une petite crise peut provoquer une réaction en chaîne qui finit par provoquer l’effondrement du système. Une étude menée au Département de Physique de l’Université Bar-Ilan démontre que ce principe vaut également pour les écosystèmes, notamment les écosystèmes bactériens. 

Dans un écosystème, différentes espèces peuvent avoir un effet négatif les unes sur les autres. Le guépard, par exemple, se nourrit de zèbres et les arbres de la jungle se font concurrence pour la lumière du soleil. À l’inverse, les espèces peuvent s’influencer positivement, comme l’abeille qui pollinise les fleurs. Dans les années 1970, le célèbre mathématicien et biologiste Robert May a prédit l’effondrement des coalitions dans les écosystèmes, comme les arbres dans les forêts tropicales, les animaux dans les savanes ou les poissons dans les récifs coralliens. Selon Robert May, un écosystème peut devenir instable et s’effondrer s’il contient trop d’espèces, ou si les réseaux de connexions entre elles sont trop intenses. En d’autres termes, les petits écosystèmes dans la nature sont généralement caractérisés par des liens forts, tandis que les grands systèmes sont caractérisés par des liens faibles. Jusqu’à présent, cette théorie était difficile à prouver en raison de la difficulté de mesurer ces réseaux. 

La théorie de Robert May démontrée

Dans cette nouvelle étude, Yogev Yonatan et Guy Amit du groupe de recherche du Dr Amir Bashan du Département de physique de l’Université Bar-Ilan, en collaboration avec le Dr Yonatan Friedman de l’Université hébraïque, ont démontré la première preuve de la théorie de May dans les écosystèmes microbiens. 

Le microbiome est d’une grande importance pour notre santé, comme la digestion et l’absorption des nutriments et la formation de notre système immunitaire. Les perturbations de l’équilibre écologique sont associées à de nombreux effets néfastes sur notre bien-être physique et mental, de l’obésité aux troubles mentaux et psychiatriques divers, en passant par le risque de maladies chroniques telles que le diabète et le cancer. Certaines interventions ont été introduites pour maintenir un équilibre sain, notamment les éléments diététiques, l’apport de probiotiques, les antibiotiques et la transplantation fécale (selles congelées mises en réserve lorsque l’individu est en bonne santé). En dehors du corps humain, les bactéries jouent un rôle vital dans la création des conditions de vie d’organismes plus grands. Ils sont nécessaires à la décomposition des nutriments, à la régulation de la production et à la décomposition des gaz dans l’atmosphère, notamment les gaz à effet de serre, le méthane, le dioxyde de carbone… 

Nouvelle méthode de calcul

Les chercheurs ont développé une nouvelle méthode de calcul qui permet d’estimer le niveau de connectivité dans l’écosystème (une mesure du nombre de connexions dans le réseau et de leur force) en analysant de grandes quantités de données provenant d’une variété de communautés microbiennes sans avoir à créer une carte détaillée de toutes les interactions, imitant la façon dont la température d’un verre d’eau peut être mesurée sans une connaissance complète de la vitesse et de la position de chaque molécule d’eau. 

Dans un premier temps, les chercheurs ont testé la nouvelle méthode sur des données simulées de dynamique écologique. Plus tard, ils ont analysé les données de milliers d’échantillons de populations bactériennes de divers organes du corps humain et de populations bactériennes qui vivent sur des éponges marines dans les récifs coralliens de divers sites à travers le monde. Dans chaque environnement écologique, ils ont comparé le nombre d’espèces différentes dans la population bactérienne et le niveau de connectivité du réseau écologique, et ont trouvé les premières preuves de l’existence du principe de stabilité de Robert May dans ces systèmes. 

Comprendre les principes de stabilité des communautés bactériennes est important pour deux raisons : 

1/ Les principes de stabilité sont les règles du jeu qui dictent l’évolution de l’écosystème dans un environnement particulier et aident à répondre à des questions scientifiques telles que pourquoi différentes populations bactériennes se développent à différents endroits ou pourquoi le nombre d’espèces diffère d’un endroit à l’autre. 

2/ Les écosystèmes peuvent s’effondrer suite à la perturbation de l’équilibre écologique suite à l’intervention humaine. C’est vrai des récifs coralliens en Australie et des forêts tropicales au Brésil, et c’est également vrai des populations bactériennes chez l’homme et dans l’environnement. Il est important d’évaluer à quel point ces systèmes sont proches de l’effondrement afin que nous sachions comment éviter de les endommager et comment ils peuvent être réhabilités. 

La force des interactions

Les résultats montrent que le nombre d’espèces différentes de bactéries pouvant survivre dans un même environnement écologique est limité par la force des interactions entre elles. Par exemple, dans l’intestin, où il y a une abondance de nourriture pour les bactéries et une concurrence moins intense pour les ressources, nous trouvons des dizaines à des centaines de types de bactéries différents. L’inverse se produit dans d’autres endroits où la concurrence est féroce et le nombre d’espèces est faible. Comprendre les principes de stabilité des populations bactériennes est particulièrement important lorsque nous nous intéressons au développement de traitements qui incluent des tentatives d’influence, de modification et de contrôle de leur composition. 

 Publication dans Nature Ecology & Evolution

Traduction/adaptation Esther Amar pour Israël Science Info

Légende de la photo du haut :

Fig. 1 | observing complexity–stability patterns in natural microbial communities without network reconstruction. a, The complexity–stability paradigm predicts that there is an upper limit to the overall complexity of stable ecosystems such that it would be improbable to observe communities with both a large number of species and a high degree of interspecific interactions (‘connectance’). While the number of resident species is, in principle, an observable measure, the networks of interspecific interactions are generally unknown. Dots in the connectance–number-of-species plane that are below the critical stability line represent viable ecosystems. b, In this study we analyse human-associated microbial samples from different body sites and sponge-associated microbial samples from diverse geographical locations, representing diverse ecological environments and species assemblages. c, The number of observed species in different samples from the same ecological environment is typically distributed around a characteristic value, which varies substantially across the environments. d, Vertical bars schematically represent relative abundance profiles, where each colour corresponds to a different microbial taxa. A bottom-up approach for evaluating the connectance of an ecosystem from cross-sectional data relies on prior reconstruction of a detailed network model. Alternatively, the effective connectance can be directly extracted from the cross-sectional data without network inference in a top-down approach using the DOC method.