Universités de Tel Aviv et Bar-Ilan, Technion (Israël), MIT (USA) : le secret du QI des poulpes

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L’un des moteurs de l’évolution est la capacité de l’ADN – le support de l’information génétique – à subir des mutations qui, sous différentes pressions de sélection, seront conservées ou non. Ces mutations ont ainsi mené à l’apparition de l’intelligence et la capacité à effectuer des tâches ou des raisonnements de plus en plus complexes. Les primates et notre espèce Homo Sapiens Sapiens ont ainsi tiré leur épingle du jeu de l’évolution. Pourtant, ce schéma est anormalement absent chez les céphalopodes (comprenez poulpes, seiches, calamars et autres nautilus). Dotés d’un cerveau disproportionné et d’un système neuronal complexe, ces céphalopodes n’ont rien à envier à certains mammifères ou autres oiseaux dits « intelligents ». Le secret de leurs prouesses cognitives vient d’être percé par une équipe de chercheurs israéliens.

Une équipe de chercheurs israéliens menée par le Dr Eli Eisenberg (Université de Tel Aviv) et le Dr Joshua Rosenthal (Marine Biological Laboratory, MA, USA) semble avoir percé l’incroyable secret de l’intelligence hors-norme des céphalopodes.

D’une part Homo Sapiens Sapiens – vertébré d’environ 1m60-1m70, pesant 62 kilos dont 1,5 kilogrammes de matières grises – l’espèce la plus « intelligente » sur terre. Face à lui, un ridicule poulpe, d’une centaine de centimètres pour à peine 1 kg. A priori, peu les rapproche. Pourtant, les céphalopodes, dont font parti les poulpes, ont les cerveaux les plus gros (rapportés à leur masse respective) et les systèmes nerveux les plus complexes des invertébrés (insectes, méduses, éponges, mollusques, arthropodes, etc.). Et comme leurs homologues Sapiens, ils sont dotés d’une intelligence hors norme. Si certains sont capables d’ouvrir le couvercle d’une boite contenant de la nourriture, les céphalopodes sont surtout connus pour leur compétence à se situer dans un lieu (et s’y fondre), à naviguer, à chasser mais aussi à communiquer ou utiliser des outils.

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Tous les céphalopodes ? Pas tout à fait. Certains sont nettement moins dotés que d’autres et leurs capacités cognitives en pâtissent, c’est le cas des nautilus par exemple. L’évolution aurait, de façon parallèle et dans les océans, fait apparaître une autre course à l’intelligence ? Peut-être bien. Mais encore reste-t-il à l’expliquer. Car les céphalopodes sont aussi dotés d’un formidable mécanisme anti-mutation. Leur ADN est ainsi peu enclin à subir des mutations ou à les conserver. Le mystère reste donc complet et l’intérêt porté à ces créatures marines se concentre principalement sur leurs prouesses plus que sur l’explication derrière celles-ci. De célèbres céphalopodes ont ainsi fait parler d’eux, dont notamment : le poulpe Otto, coqueluche de l’aquarium Coburg en Allemagne et « Paul le poulpe » (Oberhausen, Allemagne), qui rentra dans histoire par ses prédictions de matchs de foot entre 2008 et 2010.

Néanmoins, l’équipe du Professeur Eisenberg, épaulée par des chercheurs de l’Université de Tel Aviv et l’Université Bar Ilan, du Technion, du MIT ainsi que par le Dr Joshua Rosenthal, vient de percer leur secret en publiant le fruit de leur recherche en avril dernier dans la revue scientifique Cell (Cellule en anglais). Leurs premières observations ont permis de mettre en évidence la présence en quantité hors-norme de modifications du transcriptome, l’ensemble des molécules d’ARNs (molécules servant d’intermédiaire entre l’ADN et les protéines) issus de la transcription du génome. En effet, si les modifications de l’ARN peuvent être présentes chez les mammifères et même chez l’homme, celles-ci restent très rares. Chez les céphalopodes, c’est tout le contraire, elles seraient extrêmement nombreuses. Or, une modification de l’ARN signifie une possible modification de la protéine qui en résulte après transcription et potentiellement une fonction altérée de celle-ci (réduite, amplifiée ou nouvelle), exactement comme dans le cas d’une mutation de l’ADN.

Cela est suffisant pour intriguer les chercheurs auteurs de la publication qui, en poussant l’étude, ont découvert d’étranges « coïncidences ». Ces modifications de l’ARN, appelées éditions, sont non-seulement plus présentes chez les céphalopodes, mais elles concernent de façon non-négligeable les ARNs présents dans les tissus nerveux, à hauteur de 11-13% (contre moins de 1% chez l’homme). A cela s’ajoute qu’une des sous-classes de céphalopodes présente un taux très bas d’éditions des ARNs : le nautilus. Or, souvenez-vous, c’est justement « l’idiot » de la classe. Les pièces du puzzle se mettent donc en place et, pas à pas, les chercheurs mettent à jour un système d’évolution complexe comprenant un transcriptome (ARN) malléable permettant l’acquisition de nouveaux traits et un génome (ADN) rigide. S’il reste encore beaucoup à faire pour décrire tous les aspects et mécanismes derrière ce nouveau mode d’évolution, il est une chose dont on est sûr : la nature n’aura de cesse de nous étonner.

Rédacteur : Arthur Robin, doctorant à l’Université de Tel Aviv, pour le BVST-France diplomatiePublication dans la revue Cell, 6 avril 2017

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Coleoid cephalopods, a group encompassing octopuses, squid and cuttlefish, are the most intelligent invertebrates: Octopuses can open jars, squid communicate with their own Morse code and cuttlefish start learning to identify prey when they’re just embryos.

In fact, coleoids are the only “animal lineage that has really achieved behavioral sophistication” other than vertebrates, said Joshua Rosenthal, a senior scientist at the Marine Biological Laboratory in Woods Hole, Mass. This sophistication could be related to a quirk in how their genes work, according to new research from Dr. Rosenthal and Eli Eisenberg, a biophysicist at Tel Aviv University.

In the journal Cell on Thursday, the scientists reported that octopuses, squid and cuttlefish make extensive use of RNA editing, a genetic process thought to have little functional significance in most other animals, to diversify proteins in their nervous system. And natural selection seems to have favored RNA editing in coleoids, even though it potentially slows the DNA-based evolution that typically helps organisms acquire beneficial adaptations over time.

Conventional wisdom says that RNA acts as a messenger, passing instructions from DNA to protein builders in a cell.

But sometimes, enzymes swap out some letters — the ACGU you might have learned about in school — in the RNA’s code for others. When that happens, modified RNA can create proteins that weren’t originally encoded in the DNA, allowing an organism to add new riffs to its base genetic blueprint.

This RNA editing seemed to be happening more in coleoids, so Dr. Eisenberg, Dr. Rosenthal and Noa Liscovitch-Brauer, a postdoctoral scholar at Tel Aviv University, set out to quantify it by looking for disagreements in the DNA and RNA sequences of two octopus, one squid and one cuttlefish species.

They found that coleoids have tens of thousands of so-called recoding sites, where RNA editing results in a protein different from what was initially encoded by DNA. When they applied the same methods to two less sophisticated mollusks — a nautilus and a sea slug — they found that RNA editing levels were orders of magnitude lower.

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Next, the researchers compared RNA recoding sites between the octopuses, squid and cuttlefish species and found that they shared tens of thousands of these sites to varying degrees. By comparison, humans and mice share only about 40 recoding sites, even though they are hundreds of millions of years closer in evolution than octopuses and squids.

“Evolutionarily, that’s a big deal,” said Jin Billy Li, an assistant professor of genetics at Stanford, who was not involved in this study. The findings suggest that the editing sites are very important, he added.

Conserving RNA editing sites may have come with an evolutionary trade-off, however. When the researchers looked at the coleoids’ genes, they found that DNA mutations were markedly depleted around recoding sites to help preserve them. The result is a significant portion of the genome “that can’t really evolve fast,” Dr. Rosenthal said.

Slower evolution is a “big price to pay,” Dr. Eisenberg said, because DNA mutations are usually the source of new adaptive traits. But it also suggests the greater ability to edit RNA “must be worth it” in terms of natural selection, he said.

He and Dr. Rosenthal found that RNA editing is enriched in coleoids’ nervous tissues, so they suspect it contributes to these animals’ behavioral complexity, possibly by allowing for dynamic control over proteins in response to different environmental conditions or tasks. Previously, Dr. Rosenthal showed that RNA editing might help octopuses rapidly adapt to temperature changes.

Other organisms use all sorts of different methods to modify their RNA, but the possibility that coleoids use extensive RNA editing to flexibly manipulate their nervous system is “extraordinary,” said Kazuko Nishikura, a professor at the Wistar Institute, a nonprofit biomedical research institute in Philadelphia, who was not involved in the study.

“We may learn a lot from squid and octopus brains,” she said.

Source New York Times

Publication in Cell, April 6th 2017

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