Weizmann (Israël) identifie une molécule qui pourrait empêcher les cellules cancéreuses de recevoir leur "courrier"
[:fr]La cellule vivante moyenne a besoin d’une bonne capacité de communication, car elle est obligée de transmettre rapidement et efficacement un courant ininterrompu de messages provenant de ses parois extérieures vers son noyau intérieur où se prend la plus grande partie des décisions quotidiennes. Mais ce système de communication rapide à grande distance reste exposé à des mutations risquant de provoquer une ‘attaque de spam’ facilitant la progression du cancer. Avec son groupe de recherche, le Pr Rony Seger, du département de régulation biologique à l’institut Weizmann des Sciences, vient de proposer une méthode capable d’arrêter le trop-plein d’information avant qu’il arrive au noyau. Si ces premiers résultats prometteurs se confirment, la méthode pourrait être utilisée pour traiter plusieurs types de cancers, en particulier ceux qui développent une résistance aux traitements utilisés actuellement. On pourrait ainsi diminuer le nombre d’effets secondaires causés par ces traitements.
Puisque les cellules n’ont pas de communication électronique, elles utilisent des protéines : elles réussissent en général à envoyer assez correctement des messages, même en les faisant passer à travers les membranes entourant les cellules, et à travers celles qui se trouvent autour d’un noyau éloigné auxquels l’information doit en fin de compte être transmise. Un ordre provenant de l’extérieur de la cellule, comme par exemple lorsqu’une molécule facteur de croissance ordonne à la cellule de se diviser, s’arrête à la membrane cellulaire. Un récepteur sur la surface extérieure de la membrane accepte le message et passe son signal à la face intérieure. A partir de là, comme le dit le Pr Seger, si les molécules étaient des messagers humains, elles devraient traverser l’équivalent d’environ 70 km pour aller de la membrane extérieure jusqu’au noyau. Au lieu de faire circuler les messages au moyen d’une seule molécule messagère, la cellule accélère le rythme avec une sorte de relais qui permet au message d’être transporté d’une molécule à l’autre. Ce système de communications de membrane à noyau est connu comme une voie de signalisation cellulaire, et il y a environ une quinzaine de voies différentes qui servent à transmettre la messagerie interne principale des cellules.
Le Pr Seger a identifié un certain nombre de protéines impliquées dans ces voies, en particulier dans celle qu’on appelle ‘cascade de ERK/MAPK’, qui est impliquée dans le cancer. Le dérèglement de cette voie apparaît dans à peu près 85 % de tous les types de cancers. Dans les cellules normales, les messages que ces protéines transmettent sont normalement délivrés par pics : la dernière protéine du relais se glisse dans le noyau cellulaire, transmet le message, et puis se retire. Mais suite à certaines mutations, le message, auparavant utile, se transforme en spam, il devient un genre de « courrier indésirable » : il est continuellement expédié, inondant la « boîte postale » du noyau. La réponse à cette ‘attaque de spam’ peut être catastrophique ; dans le cas de messages donnant l’ordre de grossir ou de se diviser, le résultat peut être cancéreux.
Une étape important de cette voie de signalisation se produit lorsqu’une molécule nommée ERK subit une transformation qui lui permet de passer à travers la membrane entourant le noyau. Le Pr Seger a mené une recherche approfondie sur cette phase, révélant un processus très complexe qui permet à la molécule ERK de faire arriver le message à destination.
Le Pr Seger a compris qu’un ‘filtre anti-spam’ nucléaire efficace, se trouvant sur le trajet d’ERK, servirait à bloquer précisément cette étape, empêchant ainsi les ‘messages’ spécifiques d’ERK d’arriver au noyau. Avec son groupe comprenant Alexander Plotnikov, Karen Flores et Galia Maik-Rachline, il a conçu différentes petites molécules destinées à pénétrer dans la cellule et à bloquer le transfert des molécules ERK dans le noyau de la cellule. Il a collaboré avec la docteure Michal Besser, du centre médical Sheba, pour développer des cultures de cellules provenant de différents cancers, et pour ajouter les différentes molécules afin de voir lesquelles pourraient le mieux attaquer les molécules ERK.
Le groupe a identifié une molécule pharmaceutique potentielle qui a eu d’assez bons résultats, provoquant même la mort de beaucoup de cellules cancéreuses. Le Pr Seger dit que les cellules cancéreuses deviennent ‘dépendantes’ au flux constant de signaux d’ERK. En ajoutant ainsi un filtre qui désactive ce signal, on cause la mort des cellules. Il est important de noter que cette molécule n’a pas affecté les cellules normales, ce qui suggère qu’elle vise principalement le processus cancéreux et pourrait donc avoir moins d’effets secondaires que les médicaments actuellement utilisés dans les chimiothérapies.
L’étape suivante a été de tester la molécule dans les modèles murins de cancers humains. Le Pr Seger explique : « Dans une partie de ces cancers, la molécule fonctionne encore mieux sur les modèles animaux que sur les cultures cellulaires. Les cancers ont disparu en quelques jours, et n’ont pas reparu. » De plus, le fait que les molécules n’ont pas détruit ERK mais l’ont seulement empêché d’entrer dans le noyau pourrait offrir de bonnes nouvelles pour les cellules saines : ERK peut donc encore envoyer un ‘accusé de réception’ en arrière, au moyen du relais, jusqu’aux récepteurs, pour les empêcher de continuer à envoyer le message.
L’un des cancers que la molécule a éliminés au cours de cette expérience est le mélanome, un cancer généralement mortel et très difficile à soigner. Selon le Pr Seger, les médicaments le plus souvent utilisés pour soigner le mélanome agissent généralement pendant un certain temps, mais ensuite le cancer devient résistant. Il pense que la nouvelle molécule pourrait être ajoutée à la gamme de traitements, en roulement avec d’autres médicaments, de telle sorte qu’aucune résistance ne puisse se développer. Au total, la molécule a efficacement éliminé une dizaine de cancers que le groupe a testés, et de nombreux autres cancers ont montré une régression, si ce n’est la destruction complète, des cellules cancéreuses.
La méthode consistant à mettre au point de petites molécules capables de pénétrer dans les cellules et de stopper certains messages avant qu’ils deviennent des ‘spams’ pourrait aussi être utiles dans le traitement de maladies autres que le cancer. Le Pr Seger dit ceci : « Chaque voie de signalisation est associée à une maladie différente. Il s’agit de trouver les molécules capables de cibler de manière sélective une phase précise de ce processus. » Avec son groupe, il fait actuellement des expériences sur des molécules pour bloquer une voie différente, liée à une maladie auto-immune.
Publication aujourd’hui dans Nature Communications, 30 mars 2015[:en]The average living cell needs communication skills: It must transmit a constant stream of messages quickly and efficiently from its outer walls to the inner nucleus, where most of the day-to-day decisions are made. But this rapid, long-distance communication system leaves itself open to mutations that can give rise to a “spam attack” that promotes cancer. Prof. Rony Seger of the Weizmann Institute’s Biological Regulation Department and his team have now proposed a method of shutting off the overflow of information before it can get to the nucleus. If the initial promising results hold up, the method could be used to treat a number of different cancers, especially several that develop resistance to current treatments, and it might possibly induce fewer side effects than those treatments do.
Since cells don’t have electronic communication, they use proteins; and they generally manage to send messages quite ably, even getting them through the membranes surrounding the cells and those around the distant nucleus to which the information must ultimately be delivered. A directive from outside the cell – for example a growth factor molecule telling the cell to divide – stops at the cellular membrane. A receptor on the membrane’s outer surface accepts the message and passes its signal to the inner side. From there, “if the molecules were human messengers, they would have to transverse the equivalent of some 70 km to get from the outer membrane to the nucleus,” says Seger. Instead of sending messages all the way by a single courier molecule, the cell speeds things up with a sort of relay in which the message gets handed from one molecule to another. This whole membrane-to-nucleus communications system is known as a cellular signaling pathway, and there are about 15 different pathways for transferring the cell’s main internal messaging.
Seger has identified a number of the proteins involved in these pathways, especially in one particular pathway, called the MAPK/ERK cascade, which is involved in cancer. Dysregulation of this pathway shows up in some 85% of all cancer types. In normal cells, the messages these proteins pass along are normally delivered in spikes: The last protein in the relay slips into the cell nucleus, delivers the memo, and slips out again. But following certain mutations, the previously useful message becomes spam: It gets sent over and over, flooding the nucleus’s “inbox.” The response to this “spam attack” can be disastrous; in the case of such messages as those to grow or divide, the result may be cancerous.
Publication in Nature Communications, March, 30th 2015
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