Weizmann (Israël) : des molécules paradoxales créent des équilibres forts au sein des systèmes biologiques

[:fr]Certaines molécules intervenant dans la signalisation extracellulaire peuvent avoir des effets non seulement différents et même opposés. Comment les cellules cibles de ces messagers s’y retrouvent-elles ? Des chercheurs de l’institut Weizmann, le Dr Nir Friedman et le Pr Uri Alon, montrent que ce fonctionnement paradoxal permet justement de créer des équilibres particulièrement robustes au sein des systèmes biologiques.

L’Interleukine 2 comme cas d’étude

Un organisme vivant, entité unique et complète, est composé de cellules, éléments multiples et variés. Pour que l’organisme puisse vivre il est nécessaire que ses constituants communiquent entre eux et agissent de façon conjointe. Ceci est d’une complexité inouïe au niveau pratique.
Prenons un cas particulier où la communication entre cellules est cruciale : le système immunitaire. Les cellules immunitaires suivent les directives des molécules qu’elles rencontrent pour savoir si elles doivent s’activer, proliférer, mourir, ou encore ignorer l’environnement. L’interleukine 2 (IL2) entre autres rôles, promeut la prolifération des lymphocytes T… et leur mort. Les deux sont certes nécessaires pour maintenir l’équilibre du nombre de lymphocytes. Mais de quelle façon cet équilibre est-il atteint et maintenu ?
Les lymphocytes eux même produisent de l’IL2, et nous nous intéressons ici uniquement à cette IL2 à l’exclusion de source externe éventuelle. Autrement dit, nous nous intéressons à l’autorégulation des lymphocytes T. Les chercheurs ont simplement mis des lymphocytes en culture à différentes concentration (entre 300 et 10 000 cellules par millilitre) et ont regardé au bout de huit jours quelles étaient les concentrations atteintes. Toutes avaient convergé autour d’une concentration d’équilibre commune. Ceci montre que l’IL2 produite par les lymphocytes, qui agit sur les cellules mêmes qui l’ont produite, permet d’atteindre une concentration d’équilibre indépendante du nombre de cellules présentes au départ.

Comment agit cette molécule paradoxale ?

Comme ceci : l’IL2 n’agit pas sur la prolifération et sur la mort cellulaire de la même façon. La prolifération est activée de façon coopérative et la mort cellulaire de façon linéaire. Ainsi deux situations d’équilibre existent :
l’état « off », atteint quand la concentration de cellules et très faible. L’IL2 produite est insuffisante pour obtenir une prolifération importante et la population cellulaire s’éteint. En effet pour de telles concentrations d’IL2, la mort cellulaire prédomine (cf figure ci-dessous).
l’état « on », où la population est maintenue autour d’une concentration d’équilibre. Si elle décroît un peu, la production d’IL2 la fait augmenter. En effet le nombre de cellules présentes fait que la concentration d’IL2 est telle que c’est la prolifération qui prédomine. Si la population croît trop, la forte quantité d’IL2 produite fait mourir les cellules de façon à revenir à la concentration cellulaire d’équilibre.

Pourquoi une molécule paradoxale plutôt que deux molécules « simples » ?

Parce que cela marche mieux. Si les deux fonctions de l’IL2 étaient assurées par deux molécules différentes, en conservant les mêmes dynamiques (l’une coopérative et l’autre linéaire), le système serait beaucoup moins solide et plus sensibles aux variations extérieures de ces molécules. En effet, quand les deux mécanismes dépendent de la même molécule, ils varient de façon conjointe, et l’état « on » est très stable, comme décrit plus haut. Quand le système dépend de deux molécules distinctes, la probabilité d’obtenir des courbes de prolifération et de mort cellulaire dans la configuration ci-dessus, qui est la seule permettant d’atteindre un équilibre physiologique avec un état homéostatique « on » et un état « off », est très faible.

Publication dans Cell, août 2014

Auteurs :
Tirtsa Toledano, VI chercheur à l’Université Hébraïque de Jérusalem
Angélique Toulon, Chargée de mission scientifique et universitaire

Source BVST Israël[:en]In Alice in Wonderland, one side of the mushroom made her shrink, while the other side of the same mushroom made her grow. Alice may have been confused by this, but a similar paradox is often evident in biology: The same molecule can have completely opposite effects on the cells that receive its signals. These signaling molecules are secreted and consumed by cells in order to communicate with each other and coordinate actions. Thus, for example, a certain molecule can signal enhanced cell division to increase cell numbers and, at the same time, enhance the probability of cell death. Is there a reason why nature chose this counterintuitive strategy? Can one molecule somehow do both jobs better than two?

The communication between T cells – part of the immune system’s protection against invading pathogens – provides a good basis for gleaning insight: T cells secrete a signaling molecule, called IL-2, which has the split function of increasing T-cell proliferation and inducing T-cell death. In previous collaborative research, the groups of Dr. Nir Friedman of the Weizmann Institute’s Immunology Department and Prof. Uri Alon of the Molecular Cell Biology Department had developed a mathematical model predicting that the paradoxical mechanism of IL-2 enables the body to reach a state of homeostasis – that is, maintaining a relatively steady number of cells. “Balance in such a system is important in order to prevent too large a response on the one hand, which could prove wasteful or harmful, or too weak a response on the other hand,” says Friedman.
The scientists recently joined forces again to put their theoretical predictions to the experimental test. Dr. Shlomit Reich-Zeliger and former postdoctoral fellow Dr. Yaron Antebi in Friedman’s lab, together with then PhD student Yuval Hart in Alon’s group, cultured T cells in groups of different starting sizes and followed their numbers for a week. Their findings, recently published in Cell, support the notion that T cells do indeed reach homeostasis as a result of the paradoxical IL-2  signaling – maintaining an almost fixed number of cells regardless of their initial concentration. However, again as predicted, this is only true above an initial threshold level of cell numbers. Below that threshold, the T-cell population shrinks to extinction. Friedman: “This function might serve as a kind of ‘safety switch,’ possibly to prevent an exaggerated response to a harmless trigger mistakenly identified by just a few cells.”

The experiments helped validate further predictions: The body’s homeostasis is dependent on IL-2; T cells “lose their balance” if they can’t produce this molecule. The researchers also confirmed that IL-2 levels rise and fall, with peak levels occurring, counterintuitively, at relatively low cell numbers – just above the threshold. At this level, the higher signal probably functions to boost T-cell proliferation.

Still, why use a “two-in-one” molecule? To answer the question, the scientists decided to test other possible scenarios by plugging a two-molecule solution into their mathematical model. The results showed that two separate molecules, each with its own function, would make the system more sensitive to environmental perturbations that could throw it completely off balance. In contrast, having one molecule with two functions proved to be a more robust setup, enabling the system to better sense and compensate for additional signals in the surrounding environment – something like Alice eating bits from alternate sides of the mushroom until her senses told her she had reached the right height.

IL-2 is used to treat various diseases, but its use is hampered by possible serious side effects. A better understanding of its complex mechanism of action may therefore help toward designing more effective interventions in the future. More generally, these findings can also be applied to other biological systems whose molecules display similarly paradoxical signaling – for example glucose, which has contradictory effects on the insulin-producing cells in the pancreas.
This study provides an important step toward gaining a better, more quantitative understanding of the complex intercellular responses between communicating cells. By modeling the population dynamics of cells in such complex systems as the human immune system, studies like this can reveal the paradoxical nature of our existence.
Also participating in the research were Dr. Irina Zaretsky of the Immunology Department and Dr. Avraham Mayo of the Molecular Cell Biology Department.

Publication in Cell, August 2014[:]