Weizmann (Israël) : une analyse dynamique des populations bactériennes du corps humain

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Les travaux récents sur les communautés bactériennes hébergées par le corps humain, notamment au niveau du système digestif, mettent en jeu ce qu’on appelle la méta-génomique. C’est-à-dire l’analyse à grande échelle des génomes bactériens présents dans un échantillon donné, par séquençage massif. La nouveauté de cette étude dirigée par le Pr Segal à l’Institut Weizmann est qu’elle ne donne pas une image statique mais une image dynamique des populations bactériennes, en mesurant leur taux de croissance. Alors que la méta-génomique donne habituellement une photo de la variété des espèces bactériennes présentes (tout au moins au sein de la fraction qui est cultivable) et de leur abondance relative, l’équipe du Pr Segal montre le film de la croissance bactérienne et de ses changements en cas de maladie.

Comment mesurer le taux de croissance d’une population bactérienne ?

Ce taux de croissance est déterminé en analysant la réplication de l’ADN bactérien. En effet, une bactérie qui se divise doit au préalable dupliquer son ADN. Chez la plupart des bactéries, la réplication de l’ADN débute toujours au même endroit, appelé origine de réplication. Elle se poursuit de façon bidirectionnelle jusqu’à ce que les deux brins en croissance parviennent au « terminus » de réplication. Les portions de l’ADN qui ont déjà été répliquées (les plus proches de l’origine de réplication) seront donc présentes dans une bactérie en deux exemplaires, et le reste du génome en un exemplaire. Une fois que la réplication est terminée, la bactérie se divise en deux et chacune des deux bactéries ainsi formées hérite d’une copie du génome.

Les chercheurs ont procédé à un séquençage de nombreux échantillons bactériens en mesurant uniquement à chaque fois le nombre total de copies de l’origine de réplication et celui du terminus de réplication dans l’ensemble de la population. Ils analysent le ratio de ces deux nombres (nombre de copies de l’origine/nombre de copies du terminus), qu’ils appellent PTR (Peak to Trough, littéralement « pic sur creux »). Si une population bactérienne est stable, ce ratio doit être proche de 1, puisque chaque bactérie aura un exemplaire de l’origine de réplication et un exemplaire du terminus. Si la population se divise activement, ce ratio tendra vers deux, puisque la plupart des bactéries seront en train de répliquer leur génome et posséderont deux copies de l’origine de réplication, pour une copie du terminus. Les chercheurs ont montré qu’effectivement la mesure des PTR à un instant donné reflétait de façon très précise le taux de croissance des bactéries dans la demi-heure suivante.

Illust: Adapté de Microbial, 26.4 ko, 578x133

Quelles nouvelles informations la mesure du taux de croissance peut-elle apporter ?

Les chercheurs sont capables de mesurer le PTR spécifique d’une espèce donnée même quand elle se trouve au sein d’une communauté bactérienne. Ils ont ainsi pu étudier des échantillons humains et regarder s’il y avait des associations entre des pathologies et des variations de PTR –autrement dit des variations de taux de croissance- chez des espèces bactériennes spécifiques. Rechercher des corrélations entre la présence de certaines maladies et les espèces bactériennes présentes dans l’organisme n’est pas nouveau : on sait par exemple que certaines maladies infectieuses de l’intestin sont associées à un déséquilibre dans l’abondance relative de certaines espèces de bactéries dans le tube digestif. Cependant aucune étude dynamique n’avait été réalisée jusque là. Le présent travail a révélé des associations entre le taux de croissance de certaines espèces bactériennes et des pathologies comme le diabète de type II ou la maladie de Crohn. Les espèces qui possèdent un taux de croissance exceptionnellement élevé dans certaines circonstances pathologiques ne sont pas nécessairement les plus abondantes mais sont métaboliquement très actives (tableau ci-après).

Mis à part les connaissances nouvelles qu’elle a déjà commencé à apporter sur les dynamiques bactériennes en situation pathologique, l’utilisation de la mesure de PTR ouvre encore d’autres perspectives tout à fait enthousiasmantes. Notamment celle de pouvoir observer, en direct, quelles espèces réagissent rapidement à un traitement thérapeutique donné. Cette technique pourra aussi permettre de déterminer plus précisément les interactions entre espèces au sein du microbiome : quelles espèces réagissent en premier à certains stimuli (alimentaires, pathologiques, médicaux,…) et modulent la croissance des espèces voisines.

Auteur : Tirtsa Toledano pour BVST

Publication dans PNAS, 4 septembre 2015

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It is increasingly clear that the thousands of different bacteria living in our intestinal tract – our microbiome – have a major impact on our health. But the details of the microbiome’s effects are still fairly murky.  A Weizmann Institute study that recently appeared in Science suggests approaching this topic from a new angle: Assess how fast the various bacteria grow. This approach is already revealing intriguing links between bacterial growth rates and such conditions as type II diabetes and inflammatory bowel disease. The new computational method can illuminate a dynamic process such as growth from a static “snapshot” of a single sample, and thus it may have implications for both diagnostics and new avenues of research.
Tal Korem and David Zeevi, research students in the lab of Prof. Eran Segal of the Computer Science and Applied Mathematics Department, led this research and collaborated with Jotham Suez, a research student in the lab of Dr. Eran Elinav in the Immunology Department, and Dr. Adina Weinberger, a research associate in Segal’s lab. The study began with the advanced genomic sequencing techniques used in many current microbiome studies, which sequence all of the bacterial DNA in a sample. From the short sequences, they construct a picture of the types of bacteria and their relative abundance. But the Weizmann Institute team realized that this sequencing technique held another type of information.
“The sample’s bacteria are doing what bacteria do best: making copies of their genomes so they can divide,” says Segal. “So most of the bacterial cells contain more than one genome – a genome and a half, for example, or a genome and three quarters.” Since most bacterial strains have pre-programmed “start” and “finish” codes, the team was able to identify the “start” point as the short sequence that was most prevalent in the sample. The least prevalent, at the other end of the genome, was the DNA that gets copied last. The researchers found that analyzing the relative amounts of starting DNA and ending DNA could be translated into the growth rate for each strain of bacteria.

The group tested this formulation experimentally, first in single-strain cultures for which the growth rate could be controlled and observed, then in multiple animal model systems, and finally in the DNA sequences of human microbiomes, in their full complexity. Their method worked even better than expected: The estimated bacterial growth rates turned out to be nearly identical to observed growth rates. “Now we can finally say something about how the dynamics of our microbiome are associated with a propensity to disease. Microbial growth rate reveals things about our health that cannot be seen with any other analysis method,” says Elinav.

In their examination of human microbiome data, for example, the group found that particular changes in bacterial growth rates are uniquely associated with type II diabetes; others are tied to inflammatory bowel disease. These associations were not observed in the static microbiome “population” studies. Thus the method could be used in the future as a diagnostic tool to detect disease or pathogen infection early on, or to determine the effects of probiotic or antibiotic treatment. In addition, the scientists hope this new understanding of the microbiome will spur further research into the connections between the complex, dynamic ecosystem inside of us and our health.
Also participating in this research were Tali Avnit-Sagi, Maya Pompan-Lotan, Nadav Cohen and Elad Matot in Segal’s lab; Christoph A. Thaiss and Dr. Meirav Pevsner-Fischer in Elinav’s lab; Dr. Ghil Jona and Prof. Alon Harmelin of the Weizmann Institute; Dr. Alexandra Sirota-Madi and Prof. Ramnik Xavier of Harvard Medical School and the Broad Institute; and Prof. Rotem Sorek of the Weizmann Institute.
Publication in PNAS, September 4th 2015

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