Covid-19 : « Il faut collecter en urgence les données de santé (big data) dans le monde entier », selon le Pr Daniel Cohen

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Le Professeur Daniel Cohen, co-fondateur de la société Pharnext, est une sommité. En 1993, ce pionnier de la génétique a réalisé la première carte du génome humain qui permet de connaître et soigner les maladies héréditaires. Il est également fondateur du Généthon, laboratoire du Téléthon. Dans le cas du coronavirus, il a expliqué à Israël Science Info pourquoi la collecte massive des données de santé (big data médical) des patients atteints de Covid-19 est la clé pour stopper l’épidémie et soigner les patients. Pharnext est spécialisée dans l’intelligence artificielle, le big data médical et la combinaison de médicaments, atout clé de sa plateforme Pleotherapy qui s’appuie sur les données l’OMS. Pharnext a identifié près d’une centaine de médicaments, fréquemment prescrits, qui permettraient de repositionner rapidement des médicaments à partir de données cliniques existantes sur le COVID-19.

[NDLR : en matière de données de santé, Israël est particulièrement en avance car ce pays de 8 millions d’habitants a commencé à exploiter ses données médicales pour créer de nouvelles opportunités dans l’analyse et l’optimisation du traitement des patients. Les 4 systèmes de santé qui couvrent la population ont utilisé au cours des deux dernières décennies la même plateforme de dossiers médicaux électroniques].

ISI Mag – Quelle est la méthodologie de Pharnext ?

Pr Daniel Cohen – Pharnext a pour stratégie de combiner plusieurs molécules déjà présentes sur le marché pour lancer des traitements innovants, en les repositionnant dans de nouvelles indications, comme la maladie de Charcot et d’Alzheimer par exemple. Concernant le Covid-19, nous disposons de très peu de données sur les malades car elles ne sont pas collectées de façon systématique pour l’instant. Comment le virus interagit avec la cellule ? Le Covid-19 est un virus à ARN (version simplifiée de l’ADN). Son génome comprend une dizaine de gènes. Le virus s’accroche aux cellules pour les infecter grâce aux protéines de surface (S) qui couronnent l’enveloppe des particules virales. Une fois dans la cellule, le virion utilise la machinerie génétique et se reproduit. Les nouvelles particules virales s’échappent alors de la cellule, poursuivent la réplication sur d’autres cibles dans l’organisme et ainsi de suite… Chez Pharnext on a recherché quels médicaments peuvent bloquer cette interaction et empêcher le virus de se multiplier. Nous avons identifié près de 100 médicaments candidats très courants, qui présentent l’avantage d’être disponibles immédiatement, nul besoin d’attendre des années pour les produire.

ISI Mag – Cela ferait gagner beaucoup de temps ?

Pr Daniel Cohen – Comme il s’agit de médicaments courants, de nombreux patients atteints du Covid-19 en prennent. En recueillant tous les dossiers médicaux on connaitra les médicaments que prennent les malades de façon régulière, qui a pris ou non tel médicament, s’il se porte mieux ou pas. Ce test, déjà existant, simple et peu coûteux permet de trier parmi les centaines de médicaments ceux que l’on pense être les plus actifs. Il faut absolument qu’on mutualise tous les dossiers en les anonymisant à l’échelle internationale, le plus vite possible. Ils doivent être informatisés selon un protocole homogène entre tous les pays en précisant bien les médicaments pris par le patient et comment a évolué la maladie Covid-19. Il ne faut pas attendre des mois mais démarrer cette collecte de données dès demain. Des tests et essais cliniques existent déjà grâce à ces données et grâce à ces candidats bien identifiés. La France peut prendre le leadership et entrainer l’Europe dans cette entreprise urgente sans attendre que tout le monde soit d’accord au niveau international. Sinon ça ne se fera jamais. Obtenir des informations des Chinois serait en effet très difficile pour une question de langue et de culture. L’action du ministre de la Santé Olivier Véran, un homme remarquable, avec ses experts scientifiques et des épidémiologistes permettrait de collecter les données de santé de façon informatique. N’étant pas virologiste et ne faisant pas partie du sérail, je ne fais d’ombre à personne. J’espère que le bon sens l’emportera. Le Pr Didier Raoult, éminent infectiologue, Grand prix de l’Inserm en 2010, auteur de 1803 publications (PubMed, 23 mars) que j’admire beaucoup, approuve complètement le principe. La combinaison de chloroquine et de zythromicine étudiée par le Pr Raoult à Marseille a confirmé ce que nous avions identifié. Mais tous les patients ne pourront pas être soignés par cette combinaison. Raison pour laquelle il faut avoir plusieurs cordes à nos arcs.

ISI Mag – L’IA a-t-elle joué un rôle clé pour identifier les médicaments candidats ?

Pr Daniel Cohen – L’Intelligence Artificielle nous aide peu car nous manquons de big data. 75% des médicaments candidats ont été trouvés par l’intelligence humaine. L’IA permettra d’analyser les dossiers médicaux une fois qu’ils auront été collectés et informatisés. Pour analyser les données massives et l’effet sur les patients des médicaments qu’ils prennent déjà il faudra de l’intelligence artificielle. Si on atteint les cent mille personnes contaminées en France nous pourrons analyser ces données médicales et gagner un temps précieux dans l’identification et la combinaison de traitements efficaces.

 

Propos recueillis par Esther Amar pour Israël Science Info

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