Israël fait partie des mauvais élèves car il n’applique pas les recommandations sanitaires, d’où une forte augmentation des maladies liées à des intoxications alimentaires. Il y a quelque mois, une task force d’experts israéliens avait proposé d’enregistrer avec précision les données et les quantités administrées dans les élevages, d’étudier au cas par cas les doses à prescrire à chaque animal et de mettre en place un système de traitement des ordonnances informatisées qui délivrera aux vétérinaires les doses exactes à administrer à chaque tête de bétail, en fonction des données. Le ministère israélien de la Santé a indiqué s’impliquer dans ce projet.
Il y a déjà quelques mois, l’Inde a interdit l’usage de la Colistine, surnommée antibiotique de dernier recours principalement utilisé, dans les élevages. Considérée comme le traitement de la dernière chance pour combattre des bactéries particulièrement résistantes, cette molécule est en train de perdre son pouvoir dû à un usage excessif. L’OMS a lancé un cri d’alarme affirmant que la résistance aux antibiotiques est devenue une urgence sanitaire mondiale et appelle à un contrôle rigoureux des antibiotiques utilisés chez l’Homme mais également et surtout dans la filière animale.
Israël, où la consommation de poulet par habitant est parmi la plus élevée au monde est concerné par le danger d’une résistance aux antibiotiques, mais les éleveurs continuent de les administrer. Des scientifiques israéliens s’inquiètent et dénoncent l’inaction des pouvoirs publics face à ce danger et l’absence de réglementations appropriées dans les élevages.
La colistine est un antibiotique très fréquemment prescrit car il soigne vite les infections, est peu onéreux et permet aussi d’engraisser les volailles. Mais cet antibactérien est devenu victime de ses atouts et a été abusivement utilisé.
Bientôt une ère post-antibiotique ?
En novembre 2015 une première alerte vient de Chine dans un élevage de porcs. La découverte d’un gène résistant à la colistine a inquiété la communauté scientifique mondiale d’autant que cette résistance a été également constatée chez l’Homme.
Cette situation est la conséquence de dizaines d’années d’imprudence. Le secteur de l’élevage s’est emparé des antibiotiques et notamment de la Colistine pour soigner des infections mais aussi comme un facteur de croissance, notamment pour les volailles.
Les éleveurs ont pris l’habitude d’administrer dès la naissance un cocktail de médicaments pour prévenir des maladies infectieuses mais aussi pour réduire les temps d’élevage et gagner ainsi davantage d’argent.
Chez l’Homme également on a fait trop usage des antibiotiques. L’OMS estime que plus de la moitié des antibiotiques prescrits sont mal utilisés.
« Aujourd’hui la résistance à certaines bactéries s’apparente à une pandémie invisible. Nous sommes entrés dans l’ère post-antibiotique et nous en voyons les premiers signes avec l’émergence d’infections qui ne peuvent plus être combattues. De nombreux antibiotiques sont devenus inefficaces », s’inquiète le Dr Mariângela Simão, sous-directrice générale de l’OMS.
Selon l’OMS des maladies courantes comme les infections sexuellement transmissibles, les complications respiratoires et urinaires sont de plus en plus résistantes à certains traitements.
Près de 700.000 personnes meurent chaque année car les médicaments n’agissent plus sur les infections bactériennes qu’ils ont contractées, soit une personne par minute. Sans une prise de conscience au niveau mondial en 2050 quelques 10 millions de personnes risquent de mourir car les médicaments prescrits ne seront plus capables de combattre les bactéries. Le coût peut être évalué à quelque 6 trillions de dollars.
La perte d’efficacité des antibiotiques va rendre les procédures médicales classiques risquées et affecter tous les actes chirurgicaux ainsi que les protocoles de chimiothérapie, de diabète…
Alexander Fleming, le chercheur qui a découvert la pénicilline, le premier antibiotique, en 1928 avait mis en garde sur les dangers à utiliser ces molécules abusivement. Il y a déjà 70 ans il avait averti la communauté scientifique : « La personne irréfléchie qui joue avec un traitement à base de pénicilline est moralement responsable de la mort de l’homme qui succombe à une infection par l’organisme résistant à la pénicilline ». Il ne pensait pas si bien dire…
En effet, la résistance aux antibiotiques est un phénomène connu et prévisible et survient naturellement dans le temps, en général à la suite de modification génétique. Mais l’usage abusif ou excessif de ces médicaments accélère le processus d’autant que certains sont administrés de manière abusive pour lutter contre le rhume ou la grippe ou comme activateurs de croissance chez les animaux d’élevage.
Israël réticent à adopter des règlementations
En 2006, l’Union européenne a interdit l’usage d’antibiotiques prescrits comme facteurs de croissance dans la filière animale. Les Etats-Unis ont fait de même en 2017. Aujourd’hui c’est au tour de l’Inde d’interdire la colistine l’antibiotique de la dernière chance dans les élevages. Il s’agit d’une décision « nécessaire et indispensable pour l’intérêt public », ont indiqué les autorités indiennes. Un premier pas vers une prise de conscience mais encore insuffisant car d’autres classes d’antibiotiques aidant a engraisser les animaux continuent à être administrées.
Même demi-mesure cette interdiction a toutefois le mérite d’exister alors que de nombreux pays font fi des recommandations de l’OMS et des avertissements lancés par la communauté scientifique.
Israël fait partie des mauvais élèves, pourtant l’enjeu est important car la consommation de volailles y est très élevée quelque 65kg par personne par an, selon les données de l’OCDE. L’industrie de la volaille représente un chiffre d’affaires conséquent de 1,4 milliard d’euros et contribue à hauteur de 17% aux bénéfices de la filière agricole.
Une hausse des intoxications
Ce succès s’accompagne malheureusement du revers de la médaille et il est de taille. En 2018, 47% des volailles et 18% des œufs en Israël ont été contaminés par la bactérie de la salmonelle. Les intolérances et infections alimentaires sont en forte hausse. Chaque année quelque 100. 000 cas de salmonellose et 270000 de cas d’infection par la bactérie ampylobacter sont dénombrés, selon le Pr Myriam Weinberger, présidente de l’association israélienne spécialisée dans les maladies infectieuses.
Ces maladies se caractérisent par l’apparition d’une infection dans l’appareil digestif et sont souvent facilement traitées mais elles peuvent se déclarer mortelles en cas de complications surtout parmi les jeunes enfants ou les personnes âgées.
“Israël est un des rares pays du monde occidental qui permet encore l’usage intensif d’antibiotiques dans ses élevages de poulets », dénonce Myriam Weinberger. “Cette tolérance se traduit par une résistance aux antibiotiques dans les élevages et les consommateurs en paient le prix. Des études ont également démontré que l’urine de poulets infectés se propage dans la nappe phréatique et devient un risque, même pour les cultures ».
Arik Melamed, un des rares éleveurs de poulets organiques en Israël considère que son pays est entrainé dans un cercle infernal de dépendance aux antibiotiques dont les conséquences sont très graves. Pour cet éleveur du centre du pays le système de l’élevage conventionnel est à revoir totalement : les volailles sont confinés dans des poulaillers, se transmettent les infections, mangent de la nourriture contaminée qui leur causent des maladies et on les traite par des antibiotiques.
“Israël ne respecte pas les standards sanitaires modernes communément admis dans les élevages de volailles », regrette Weinberger. “De nombreuses discussions sont en cours mais aucune décision n’a été prise. Il a été prouvé que les poulets élevés sans produits chimiques sont plus sains et des lois ont donc limité leur usage mais sur le terrain aucun contrôle n’est effectué », fait-elle remarquer.
Le Dr Giddy Tzippori, vétérinaire responsable de l’Institut israélien pour la sécurité et la qualité alimentaire, partage les mêmes préoccupations. “Une part importante de poulets contrôlés avant leur abattage se révèlent infectés par des bactéries diverses et par des résidus de pesticides. Mais quand les résultats de ces inspections sont connus (entre 48 à 72 heures après l’abattage), les poulets ont déjà été commercialisés », explique-t-il.
Un manque de moyens
Alors pourquoi ce laxisme. Les scientifiques dénoncent un manque de moyens et de volonté des pouvoirs publics. Les chiffres sont d’ailleurs là pour le prouver. A peine 200 inspecteurs sanitaires sont employés par le ministère de l’Agriculture pour contrôler, dans l’ensemble du pays, les pratiques dans les élevages. Un chiffre dérisoire. Au ministère de la Santé le manque de moyen est encore plus criant. Le nombre d’inspecteurs est largement insuffisant d’autant qu’ils doivent vérifier le respect de la sécurité alimentaire lors des processus de transformation mais également les restaurants.
“Les inspecteurs sont compétents mais il y a tant à contrôler que c’est impossible et ce sont les consommateurs qui en pâtissent », souligne Giddy Tzippori.
Le ministère de l’Agriculture indique avoir commencé les vérifications sur les antibiotiques dans les élevages en 2014 et désormais chaque année un rapport est émis sur la prévalence de la résistance aux antibiotiques dans les abattoirs. “Ce sont les premières étapes vers un système central de contrôle officiel qui va contraindre à limiter l’usage de certains médicaments », assure le ministère. Nous avons déjà des résultats puisque la contamination des œufs à la salmonelle a baissé à 12% en juillet contre 30% l’an dernier.
Au ministère de la Santé on souligne que « l’usage des antibiotiques dans les élevages est sous la responsabilité du ministère de l’Agriculture ».
Une situation inquiétante dans un pays pourtant à la pointe de la technologie ou de nombreux scientifiques planchent sur cette menace mondiale de la résistance aux antibiotiques.
Les Israéliens ont toutes les raisons de s’interroger : est-ce que les produits alimentaires distribués dans leur pays respectent les règles sanitaires, et de manière plus large, est-ce que les autorités sont suffisamment concernées pour éviter un usage excessif d’antibiotiques ?
Source Anna Borenstein pour ZAVIT
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