La diversité – au moins parmi les cellules cancéreuses – n’est pas une bonne chose. Les recherches de l’Institut scientifique Weizmann ont montré que, dans le mélanome, le système immunitaire a moins de chances d’affecter les tumeurs contenant des cellules qui se sont différenciées en sous-types, ce qui réduit les chances que l’immunothérapie soit efficace. Les résultats de cette recherche pourraient fournir de meilleurs outils pour la conception de protocoles personnalisés pour les patients, ainsi que de nouvelles voies de recherche sur les vaccins anticancéreux.
La professeure Yardena Samuels du Département de Biologie cellulaire moléculaire de l’Institut a voulu savoir pourquoi, malgré le fait que les décès par cancer dus au mélanome aient diminué ces dernières années grâce aux nouveaux traitements par immunothérapie, de nombreux patients ne répondaient pas au traitement. Les raisons de ce phénomène ne sont pas claires, bien que l’hypothèse principale, appuyée par quelques études, soit que les tumeurs affichant plus de mutations – une « charge tumorale mutationnelle » plus élevée – sont plus susceptibles de répondre à l’immunothérapie. Certains patients dépensent même de grosses sommes d’argent pour subir des traitements de radiothérapie ou des traitements chimiques afin d’augmenter le nombre de mutations tumorales, mais aucune relation de cause à effet entre les deux n’a encore été prouvée. Samuels et ses collègues ont été intrigués par des études suggérant une autre corrélation possible – celle entre l’hétérogénéité (c’est-à-dire la diversité génétique parmi les cellules tumorales) et la réponse au traitement. Pour étudier cette théorie, l’équipe a toutefois dû développer un nouveau système expérimental permettant de déterminer avec exactitude les facteurs qui jouent un rôle.
Dans l’étude, dirigée par les Dr. Yochai Wolf et Dr. Osnat Bartok dans le laboratoire de Samuels, les chercheurs ont prélevé des cellules de mélanome de souris et les ont exposées à un type de lumière ultraviolette connue pour favoriser ce cancer. Cela a augmenté à la fois les mutations et l’hétérogénéité cellulaire lors de la croissance. Lorsqu’ils ont injecté à des souris ces mêmes cellules ou des cellules de mélanome normales, les cellules irradiées se sont multipliées plus rapidement et de manière plus agressive. Malgré le fait que ces cellules avaient une charge mutationnelle plus élevée – et auraient donc dû être plus sensibles à l’immunothérapie – elles étaient en réalité moins susceptibles d’être éradiquées que celles de la tumeur d’origine. En d’autres termes, malgré une charge mutationnelle importante, il est apparu également une forte hétérogénéité, et les chercheurs ont émis l’hypothèse que cette dernière était le moteur de la résistance.
Étant donné que la charge mutationnelle et l’hétérogénéité vont généralement de pair, les chercheurs ont dû trouver un moyen pour étudier l’un sans l’autre. Ils ont retiré des cellules individuelles d’une culture de croissance cancéreuse agressive, puis ont cultivé de nouvelles cultures à partir de chaque cellule. Ainsi, ils se sont retrouvés avec 22 nouvelles cultures, chacune avec un faible niveau d’hétérogénéité mais portant un certain nombre de mutations aléatoires.
Lorsqu’ils ont injecté ces cellules à des souris, les chercheurs ont été surpris de constater que toutes les tumeurs se développaient lentement, voire disparaissaient sans immunothérapie – chez celles présentant une charge mutationnelle aussi bien élevée que plus faible. Pour voir si le système immunitaire des souris était effectivement responsable de la destruction des cellules cancéreuses, ils ont répété l’expérience chez des souris dont le système immunitaire était affaibli. Pour ces cas, le cancer s’est propagé rapidement.
Pour mieux comprendre la réponse immunitaire, les chercheurs ont réessayé l’expérience, cette fois sur des souris spécialement conçues pour être dépourvues de lymphocytes T – les cellules immunitaires connues pour lutter contre le cancer. « Les résultats étaient similaires à ceux obtenus chez des souris dont le système immunitaire était affaibli », déclare Wolf. « Lorsque nous examinons les cellules T de différentes tumeurs, nous trouvons beaucoup plus d’activité dans les croissances homogènes et moins dans les croissances hétérogènes. » En fait, les chercheurs ont découvert que dans les croissances homogènes, les cellules T pénétraient le centre de la tumeur, tandis que dans les hétérogènes, elles restaient en dehors, et qu’il existait plus de cellules T d’un type différent – ceux qui suppriment l’activité immunitaire.
« Nous avons démontré la différence entre deux extrêmes – très homogène et très hétérogène », explique Bartok, « mais la plupart des cancers se situent quelque part entre les deux. Pour générer systématiquement des tumeurs avec des niveaux intermédiaires d’hétérogénéité génétique, nous avons créé un arbre phylogénétique de la lignée hétérogène parentale et cartographié comment les sous-types apparaissent au fil du temps. Ensuite, nous avons créé des « cocktails » de lignées cellulaires homogènes basées sur cet arbre, avec des combinaisons de cellules plus ou moins hétérogènes, et les avons injectés à des souris. Comme prédit, plus le cocktail était homogène, plus il était facile pour les souris d’éradiquer le cancer, alors que plus les tumeurs étaient hétérogènes, plus elles devenaient agressives.
« Nous avons constaté que le test d’un nombre de sous-types de cellules et leur place sur l’arbre phylogénétique constituaient un prédicteur bien meilleur que la charge mutationnelle pour succès de l’immunothérapie », déclare Samuels. « Nous avons également examiné les données de patients atteints de mélanome ayant subi une immunothérapie et avons constaté une forte corrélation entre ces facteurs et le succès du traitement. À terme, nous comptons utiliser le système expérimental que nous avons créé pour développer des protocoles personnalisés applicables aux patients atteints du cancer. »
Ont participé également à cette recherche, le professeur Eytan Ruppin de l’Institut national de Cancérologie des Instituts nationaux de santé (NIH) des États-Unis, le professeur Lea Eisenbach du Département d’immunologie de l’Institut, le docteur Yishai Levin du Centre National d’Israël Nancy and Stephen Grand pour la médecine personnalisée de l’Institut, le professeur Martin Miller de l’Université de Cambridge, le professeur Eli Pikarsky de l’école de médecine de l’Université Hébraïque-Hadassah, le professeur Arie Admon du Technion – Institut de technologie d’Israël et le professeur Charles Swanton de l’University College de Londres.
La recherche de la professeure Yardena Samuels est financée par l’Institut EKARD de recherche sur le diagnostic du cancer ; la banque de tumeurs Weizmann-Brésil ; le laboratoire au nom du fonds M.E.H créé par Margot et Ernst Hamburger ; le Fonds de recherche sur le mélanome de la famille Wagner-Braunsberg ; le Fonds Jean-Jacques Brunschwig pour la génétique moléculaire du cancer ; le Comisaroff Family Trust ; la Fondation Rising Tide ; la Fundación Ramón Areces ; le Meyer Henri Cancer Endowment ; Ted et Sylvia Quint ; Jean Jacques Roboh ; et le Conseil européen de la recherche. Le professeur Samuels est titulaire de la chaire professorale de la famille Knell.
Publication dans Cell,