Une étude effectuée sur des souris a montré que la recherche animale devait prendre en compte le lien entre les gènes, le comportement et la personnalité.
Nous pouvons qualifier de « souris » la personnalité d’une personne, mais en réalité, les souris possèdent un éventail de personnalités presque aussi important que les nôtres. Le Pr Alon Chen et les membres de deux groupes sous sa direction – l’un du Département de Neurobiologie de l’Institut Weizmann et l’autre de l’Institut de Psychiatrie Max Planck de Munich – ont décidé d’explorer la personnalité des souris de façon spécifique. Cela leur a permis de développer un ensemble de mesures objectives pour ce concept très vague. Une compréhension quantitative des traits qui font de chaque animal un individu est en mesure de nous aider à répondre à certaines des questions ouvertes de la science concernant les liens entre les gènes et le comportement.
Le Dr Oren Forkosh, alors postdoctorant qui a conduit les travaux de recherche dans le groupe de Chen en Allemagne, explique que pour les scientifiques, comprendre la manière dont la génétique contribue au comportement reste une question ouverte. Ils ont émis l’hypothèse que la personnalité pourrait être la « colle » qui unit les deux : les gènes et l’épigénétique – qui déterminent la façon dont les gènes s’expriment – contribuent à la formation de la personnalité ; à son tour, la personnalité déterminera dans une large mesure comment s’exprime le comportement dans une situation donnée.
La personnalité est, par définition, un facteur individuel à chaque animal et qui reste assez stable tout au long de sa vie. Les sujets humains reçoivent généralement des scores de personnalité basés sur des questionnaires à choix multiples, mais pour les souris, les chercheurs ont dû commencer par leur comportement et travailler à rebours. Les souris ont été identifiées par un code de couleur pour leur identification, placées dans de petits groupes dans des environnements de laboratoire normaux (nourriture, abri, jouets…) et autorisées à interagir et explorer librement. Ces souris ont été filmées pendant plusieurs jours et leur comportement a été analysé en profondeur. Au total, les scientifiques ont identifié 60 comportements distincts. Par exemple, approcher les autres, chasser ou fuir, partager de la nourriture ou tenir les autres à l’écart de la nourriture, explorer ou se cacher.
Ensuite, le groupe a créé un algorithme de calcul pour extraire les traits de personnalité à partir des données sur le comportement de la souris. Cette méthode fonctionne un peu comme le score de personnalité en cinq parties utilisées chez l’homme, dans lequel les sujets sont classés selon des échelles variables qui évaluent l’extraversion, le caractère agréable, la conscience, le tempérament névrotique et l’aventurisme. Pour les souris, les algorithmes développés par le groupe ont révélé quatre de ces échelles variables et, bien que les chercheurs se soient abstenus d’attribuer à ces évaluations des étiquettes anthropomorphes, elles peuvent être appliquées de la même manière que celles utilisées chez l’homme. C’est-à-dire que chaque échelle est linéaire, avec des opposés à chaque extrémité ; lorsque le groupe s’est vu attribué les types de personnalité des souris en fonction de leurs scores pour ces traits, il a constaté que chaque souris pouvait être perçue comme possédant une personnalité unique et individuelle qui informait de manière constante son comportement. Pour savoir si ces traits étaient effectivement stables, les chercheurs ont mélangé les groupes – une situation stressante pour les souris. Ils ont constaté que certains comportements avaient changé – parfois de manière radicale – mais ce qu’ils avaient qualifié comme la personnalité était resté le même.
Que peut-on apprendre d’une méthode d’évaluation de la personnalité d’une souris ? En collaboration avec le Pr Uri Alon du Département de Biologie cellulaire moléculaire de l’Institut, l’équipe a utilisé les échelles linéaires qu’elle avait développées pour tracer un « espace de personnalité » dans lequel deux des traits étaient comparés. Ce type d’analyse donne un triangle dans lequel des archétypes se trouvent dans les coins (par exemple, très dominant et non commensal (souris de pays qui ne sont pas adaptées à l’homme), dominant mais commensal (souris de ville) et subordonné). Lorsque les traits sont examinés de cette façon, ils peuvent indiquer des compromis évolutifs – par exemple, la nécessité de survivre et de prospérer dans une hiérarchie de domination. « En fait, dit Forkosh, nous voyons que ces archétypes – et toutes les nuances entre les deux – sont assez naturels. Ces traits ne sont pas issus de nos souris, même si elles vivent depuis des générations dans des laboratoires et ne pourraient probablement pas survivre à l’état sauvage. »
Les chercheurs ont également cartographié les profils d’expression des gènes dans le cerveau de ces souris et ont découvert qu’ils pouvaient identifier un nombre associé à certains traits de personnalité qu’ils avaient identifiés.
« Cette méthode ouvrira la voie à toutes sortes de recherches », déclare Forkosh. « Si nous pouvons identifier la génétique de la personnalité et la manière dont nos enfants héritent de certains aspects de leur personnalité, nous pourrions également être en mesure de diagnostiquer et de traiter des problèmes lorsque ces gènes se détériorent. Nous pourrions même, à l’avenir, être en mesure d’utiliser ces connaissances pour développer une psychiatrie plus personnalisée, par exemple pour pouvoir prescrire les traitements appropriés pour la dépression. En outre, nous pouvons utiliser cette méthode pour comparer la personnalité d’une espèce à l’autre et ainsi mieux comprendre les animaux qui partagent notre monde. »
Le Pr Alon Chen est le Président élu de l’Institut scientifique Weizmann. Ont également participé à cette étude Stoyo Karamihalev, Sergey Anpilov et Yair Shemesh de l’Institut scientifique Weizmann et l’Institut psychiatrique Max Planck, Markus Nussbaumer, Cornelia Flachskamm et Paul M. Kaplick et Simone Roeh de l’Institut psychiatrique Max Planck et Chadi Touma de l’Université d’Osnabrück, Allemagne.
Publication dans Nature Neuroscience