Les scientifiques appellent efflorescence algale une augmentation rapide de la concentration de micro-algues, généralement une espèce phytoplancton dans un milieu aquatique (rivière, lac ou mer). Le grand public a connaissance des cas très médiatiques, sur les plages touristiques ou les berges d’un grand fleuve, qui sont souvent dus à la pollution humaine, aux nitrates et phosphates. Cependant, ce phénomène apparaît à une échelle encore plus importante au large, en plein milieu de l’océan, comme en témoigne de nombreuses photographies par satellite. Dans ce cas, les scientifiques ont une bonne connaissance du processus naturel menant à l’apparition de telles masses de phytoplancton : en certaines saisons, les forts vents marins poussent l’eau de surface, laissant alors la place à des eaux de fonds marins qui apportent avec elles quantité de nutriments. Avec l’ensoleillement naturel, ces derniers favorisent alors le développement important et rapide d’une population de phytoplanctons.
L’étude et la compréhension de ces efflorescences algales est un enjeu particulièrement important : l’apparition de phytoplanctons dans l’océan apporte des nutriments pour les organismes marins, et donc favorise notamment l’augmentation de la population locale de poissons. À l’inverse, un excès de micro-algues peut aboutir à l’existence d’une zone marine dite morte, en raison de différents mécanismes : certaines espèces d’algues peuvent consommer la totalité de l’oxygène dissout dans l’eau, empêchant donc tout autre animal d’y survivre. Dans d’autres cas, les phytoplanctons produisent directement des toxines entrainant une intoxication de la faune aquatique et également de la faune terrestre péchant les poissons ou buvant l’eau (ce phénomène est apparu sur les bordures de lacs de différents pays). Comprendre la prolifération et la disparition des efflorescences algales est donc un enjeu majeur qui dépasse largement le cadre strictement universitaire.
Disparitions mystérieuses et rapides
Si les scientifiques ont une bonne connaissance du processus menant à l’apparition de ces efflorescences, leur disparition tout aussi soudaine restait, elle, assez mal comprise. C’est ce processus qui intéresse depuis plusieurs années le docteur Assaf Vardi qui travaille au département de sciences environnementales de l’institut Weizmann. Par le passé, ce chercheur a déjà montré que ces micro-algues disparaissent à cause de l’action d’un virus. Néanmoins, le problème qui se posait encore aux chercheurs était de comprendre comment une infection virale pouvait prendre une telle ampleur, tuant ces phytoplanctons sur une surface dépassant plusieurs centaines de kilomètres carrés. Ce mystère perdurait d’autant plus que l’explication la plus simple, la diffusion du virus grâce aux courants marins, était contredite par les mesures expérimentales : l’extinction était beaucoup trop rapide par rapport à la vitesse de diffusion induite par les courants.
Le Dr Vardi et le Pr Ilan Koren du département des sciences de la terre ont étudié une autre hypothèse : la transmission du virus par l’air. Cette hypothèse pouvait sembler farfelue au premier abord : il y a une très faible probabilité qu’un virus, une fois dans l’air, ne voit pas son ADN détruit pas les rayonnements ultra-violets. De plus, quand bien même il survivrait, ce dernier devrait également avoir la chance de rejoindre l’océan dans le voisinage d’un amas de planctons. Pourtant, les deux chercheurs ont voulu vérifier expérimentalement cette piste : il y a trois ans, ils ont pu effectuer une mission dans l’atlantique nord leur permettant de mesurer la concentration de ce type de virus dans l’atmosphère. En effet, leurs mesures ont montré la présence de ces derniers dans la couche d’air au-dessus d’efflorescences algales. Les deux scientifiques ont alors pu formellement démontrer leur théorie en réalisant un modèle numérique de diffusion du virus par l’atmosphère. Et malgré la très faible probabilité de survie, ils ont vérifié que la diffusion de virus par les vents est au finale beaucoup plus rapide et large que celle par les courants marins, montrant donc que ce vecteur est clairement responsable de la disparition rapide de ces populations de phytoplanctons. Cette découverte ouvre ainsi un champ de recherche passionnant sur l’étude d’infections virales pouvant emprunter des modes de diffusion inhabituels et très contre intuitifs !
Publication dans PNAS, avril 2015
Auteur : Paul Balança, VIA en Israël (Technion)
Angélique Toulon chargée de mission scientifique et universitaire
Source BVST Israël