Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les troubles mentaux, comme par exemple la dépression, touchent environ 10 % de la population mondiale, et elles sont associées à de nombreuses autres maladies. C’est la raison pour laquelle beaucoup de scientifiques dans le monde ont investi de gros efforts dans l’étude de ces maladies, et pourtant, à l’heure actuelle, les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine de ces problèmes ne sont encore que partiellement compris.
Les antidépresseurs existants ne sont pas assez efficaces, et pour environ 60-70 % des patients, ils ne sont d’aucun secours. Quant à 30 à 40 % d’autres malades, ils ne sont soulagés que partiellement, et doivent prendre le plus souvent ces médicaments pendant de longues périodes avant d’en sentir le bénéfice, sans oublier qu’il y a beaucoup d’effets secondaires. La nécessité de nouveaux médicaments plus efficaces est évidente, et il faut pour cela, en premier lieu, une meilleure connaissance des processus et des causes à l’origine de ces maladies.
Le Pr Alon Chen, de l’Institut Weizmann, et la Dr Orna Issler (à l’époque doctorante) ont mené une recherche sur les mécanismes moléculaires du système de la sérotonine du cerveau, qui, lorsqu’il est déréglé, se trouve impliqué dans la dépression et dans l’anxiété. Le Pr Chen et ses collègues ont étudié le rôle des microARN (petites molécules d’ARN non codantes qui régulent différentes activités cellulaires) dans les cellules nerveuses qui produisent la sérotonine. Ils ont réussi à identifier, pour la première fois, les « empreintes » particulières d’une molécule de microARN qui agit sur les cellules nerveuses productrices de sérotonine. En alliant des méthodes bioinformatiques avec des expériences, les chercheurs ont trouvé une relation entre ce microARN spécifique (miR135) et deux protéines qui jouent un rôle important dans la production de sérotonine et dans la régulation de ses activités.
Les scientifiques ont remarqué que, dans la région du cerveau qui contient les cellules nerveuses produisant la sérotonine, le taux de miR135 augmente lorsque des composés antidépresseurs sont administrés. Ils ont constaté que des souris, génétiquement modifiées pour produire ce microARN en quantités plus grandes que la moyenne, étaient plus résistantes à un stress constant : elles n’ont développé aucun des comportements associés au stress chronique, comme l’anxiété et la dépression, qui devraient normalement apparaître. En revanche, les souris exprimant des niveaux bas de miR135 ont montré une augmentation de ces comportements, ainsi qu’une plus faible réponse aux antidépresseurs. En d’autres mots, le cerveau a besoin de niveaux appropriés de miR135 – suffisamment bas pour permettre une réponse normale au stress, et suffisamment hauts pour éviter la dépression ou l’anxiété, et pour répondre aux antidépresseurs qui stimulent la production de sérotonine. Lorsque cette idée a été expérimentée sur des échantillons de sang humain, les chercheurs ont constaté que les sujets souffrant de dépression avaient un niveau exceptionnellement bas de miR135 dans le sang. En approfondissant cet examen, les scientifiques ont découvert que les trois gènes impliqués dans la production de miR135 sont localisés dans des régions du génome connues pour être associées à des facteurs de risques de troubles bipolaires (troubles maniaco-dépressifs).
Ces résultats suggèrent que miR135 pourrait être une molécule thérapeutique utile, aussi bien pour un dépistage sanguin de la dépression ou d’autres maladies apparentées, que comme cible thérapeutique dont les niveaux pourraient être redressés chez les patients. Yeda Research and Development Co. Ltd., l’organisme de transfert de technologiede l’Institut Weizmann, a déposé une demande de brevet concernant ces découvertes, et a récemment obtenu les droits pour la société miCure Therapeutics de développer un médicament et une méthode de diagnostic. Lorsque les tests précliniques seront terminés, la société espère pouvoir commencer les tests cliniques chez l’homme.
Publication dans la revue Neuron, juin 2014.
Le professeur Alon Chen dirige le laboratoire Weizmann-Max Planck de Neuropsychiatrie expérimentale et de neurogénétique comportementale.