Dans les épidémies d’Ebola mortelles et récurrentes dans certaines régions d’Afrique, les agents de santé disposent aujourd’hui d’au moins quelques outils pour lutter contre la maladie : les vaccins. Des vaccins contre Ebola ont été administrés à plus de 100 000 personnes à ce jour, mais ils sont à peine sortis du stade expérimental. On ignore dans quelle mesure ces vaccins assureront une protection à long terme au niveau d’une large population. En outre, sur le plan scientifique de base, l’effet de la vaccination sur le système immunitaire et la comparaison de la réponse immunitaire des personnes vaccinées à celle des personnes ayant survécu aux infections liées à l’Ebola ne sont pas connus. Un laboratoire de l’Institut scientifique Weizmann s’est récemment associé à une équipe de chercheurs à Cologne, en Allemagne, pour découvrir les détails de la réponse moléculaire qui se produit dans le système immunitaire après la vaccination contre l’Ebola. Leurs résultats pourraient aider les agences de santé à élaborer de meilleures stratégies pour contenir et prévenir la maladie.
Le Dr Ron Diskin, du Département de Biologie structurelle de l’Institut, explique : « Ces vaccins, fabriqués à l’aide de méthodes recombinantes liant une protéine Ebola à un virus inoffensif, sont difficiles à produire et ne sont donc pas en nombre suffisant pour vacciner toute une population. En outre, la guerre civile qui sévit dans certaines régions où le virus Ebola est endémique aujourd’hui et le fait qu’il soit souvent nécessaire dans des villages difficiles à atteindre et ce en raison de sa rareté, font que le vaccin a tendance à être administré uniquement aux personnes les plus étroitement liées aux individus qui sont déjà malades. Comprendre exactement comment la réponse immunitaire est produite après la vaccination ne permettra pas seulement d’affiner le vaccin lui-même. Cela pourra nous aider à comprendre s’il agira contre différentes souches du virus ou si la dose administrée actuellement est la meilleure. »
L’étude a débuté en Allemagne, dans le laboratoire du Dr Florian Klein de l’Université de Cologne. Klein, un immunologiste, et son groupe ont recherché des signes de réponse immunitaire dans des échantillons de sang de six personnes qui s’étaient vu administrer le vaccin un an plus tôt. Le groupe a distingué les cellules B – celles qui produisent les anticorps qui constituent notre « mémoire immunitaire » – et a procédé à un séquençage en profondeur, en traçant les lignées de ces cellules et en isolant des anticorps individuels se liant à des protéines virales.
Les cellules de chacune de ces six personnes ont produit un grand nombre d’anticorps, et Diskin et son équipe – y compris les Dr. Nadav Elad du Chemical Research Support et Hadas Cohen-Dvashi de son laboratoire – ont décidé de se concentrer sur les deux anticorps les plus prometteurs et qui étaient probablement fortement impliqués dans la réponse immunitaire sur le long terme.
La première étape consistait à comprendre exactement comment et à quel endroit les anticorps se liaient à la glycoprotéine virale (partie de la membrane externe du virus) utilisée dans le vaccin, et à quel point cette liaison neutralisait le virus de manière aussi efficace. Pour ce faire, l’équipe a pu utiliser un nouvel équipement : un microscope électronique haut de gamme et à haute puissance. En fait, cette étude était la première réalisée avec le nouveau microscope, récemment installé dans l’unité de microscopie électronique de l’Institut.
Des progrès dans la préparation, la détection, l’automatisation et l’analyse informatique (dont certains ont valu à leurs développeurs le prix Nobel en 2017) ont permis à cette dernière version du microscope électronique de révéler la structure tridimensionnelle, jusqu’au dernier atome, d’un anticorps lié à sa cible sur la glycoprotéine. « Jusqu’à récemment, les travaux de la biologie structurelle impliquaient une cristallisation laborieuse et une diffraction des rayons X – un processus pouvant prendre au moins une demi-année à une année », explique Elad. « Nous pouvons maintenant outrepasser totalement la phase de cristallisation et l’ensemble de ce nouveau processus, y compris l’analyse informatique extrêmement complexe, est achevé en quelques semaines. »
Bien que bon nombre des anticorps produits par les cellules B se soient liés aux glycoprotéines – certains apparemment plus efficaces que d’autres, le groupe de recherche a pu montrer pourquoi les deux anticorps caractérisés par Diskin et son groupe étaient très efficaces pour stopper le virus. Ceux-ci se sont liés à deux sites de la glycoprotéine virale connus pour leur vulnérabilité, mais ils se sont liés d’une manière différente de celle des autres anticorps étudiés
Diskin et le groupe ont été en mesure de distinguer la composition exacte de ces anticorps – la manière dont une chaîne dite « lourde » était combinée à une autre « chaîne légère » – et de cartographier les points précis auxquels ceux-ci étaient liés à la protéine virale. « En fait, dit Diskin, les anticorps que nous avons étudiés sont beaucoup plus efficaces pour se lier que ceux actuellement testés pour traiter Ebola. » Comparer la carte des sites de liaison à celle étudiée chez les survivants de l’Ebola, connus pour leur pouvoir protecteur, a montré un modèle presque identique. Des recherches plus poussées dans le laboratoire allemand et dans d’autres ont testé les anticorps contre la protéine de l’Ebola – même contre le virus vivant – et ont confirmé que la partie de la réponse immunitaire créée par le vaccin et étudiée par le groupe est effectivement efficace, expliquant finalement le mécanisme de protection.
Même s’il reste trop peu d’informations pour nous permettre de savoir si le vaccin peut produire une réponse immunitaire contre d’autres espèces du virus de l’Ebola, l’étude a suggéré que les anticorps étaient efficaces contre plusieurs isolats d’une même espèce, et Diskin espère que des recherches ultérieures montreront si, comme ils l’espèrent, un seul vaccin peut combattre la maladie sur l’ensemble du continent.
Selon Diskin, un autre motif d’espoir est que les sujets ayant reçu une version à plus faible dose du vaccin avaient un nombre similaire d’anticorps efficaces par rapport à ceux des sujets ayant reçu une dose plus élevée, ce qui pourrait conduire à reconsidérer les protocoles d’administration et éventuellement offrir plus de protection aux populations.
Diskin et l’équipe de recherche allemande ont l’intention de poursuivre ces recherches. Sur la base d’une observation supplémentaire surprenante de cette étude, selon laquelle un groupe particulier d’anticorps efficaces partageant la même combinaison de lignée germinale à des chaînes lourdes et légères a été administré de manière renforcée chez tous les individus vaccinés, ils souhaitent savoir précisément pourquoi et comment ces anticorps sont produits, et comment ils parviennent à combattre si efficacement le virus. Ils veulent également comprendre s’il existe des facteurs limitants sérieux susceptibles d’empêcher les anticorps produits à la suite de cette vaccination de cibler toutes les espèces du virus Ebola, ou si l’ampleur de cette réponse pourrait éventuellement être élargie par l’amélioration des vaccins.
Les recherches du Dr Ron Diskin sont soutenues par le Moross Integrated Cancer Center ; l’Institut de chimie médicinale Dr. Barry Sherman ; le Centre de recherche en sciences de la vie Jeanne et Joseph Nissim ; et le Fonds d’Emile Mimran.