Kenya : un parc éolien installé en zone aride qui n’alimente pas les riverains en électricité
Zavit. La nécessité s’impose de plus en plus pour la société humaine de faire la transition vers l’utilisation des énergies renouvelables, d’abandonner les énergies fossiles polluantes et de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre afin de lutter contre la crise climatique et de freiner l’augmentation mondiale des températures. De grands projets d’énergie renouvelable, solaire, éolien et hydraulique, sont mis en place dans le monde entier, y compris dans les pays en développement d’Afrique. Cependant, s’ils sont mal exécutés, ces projets vitaux peuvent rater d’énormes opportunités. Dans une nouvelle étude, présentée à la 50ème conférence annuelle sur la science et l’environnement, des chercheuses israéliennes ont examiné le cas d’une énorme ferme de turbines établie au Kenya qui a laissé les habitants alentours sans électricité.
Le Dr Nurit Shamshoni-Yepa, directrice du département de science politique à l’école du gouvernement et de la société au Tel Aviv-Jaffa Academic College, et sa collègue Hila Segal-Klein, doctorante au département ressources naturelles et gestion de l’environnement à l’Université de Haïfa, se sont rendues au Kenya pour examiner comment la construction d’un des parcs éoliens les plus importants d’Afrique de l’Est, au lac Turkana au nord du pays, a affecté la population locale.
La recherche porte sur la création d’une ferme de centaines d’éoliennes, dans une région où des humains vivaient il y a des millions d’années, et où les premiers restes de bipèdes ont été trouvés. Cette ferme de haute technologie, l’une des nombreuses fermes établies ces dernières années au Kenya, est conçue pour améliorer la capacité du pays à s’appuyer sur des sources d’énergie renouvelables. Ce pays est l’un des plus avancés dans ce domaine en Afrique.
Cette installation était également conforme au N° 7 des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies : une énergie propre et soutenable. L’installation est connectée au réseau électrique national du Kenya. Le Dr Shamshoni-Yepa et Hila Segal-Klein se connaissent depuis plus d’une décennie, et chacune d’elles a précédemment étudié séparément les groupes ethniques du pays. Lorsque la possibilité s’est présentée de faire une étude de cas des parcs de turbines, elles ont perçu l’opportunité de travailler ensemble et ont décidé de coopérer.
Une occasion manquée
Le Dr Shamshoni-Yepa a vite douché l’enthousiasme des participants : « L’essentiel de notre recherche, a été clair pour nous dès le premier jour, les turbines n’alimentent pas les locaux. » La raison en est que les communautés locales où le parc de turbines a été construit n’ont jamais été connectées à l’électricité d’aucune sorte, ni avant la construction des turbines, ni après.
Autrement dit, l’énergie produite par les turbines circule sur des centaines de kilomètres, vers le centre du pays, mais n’atteint pas les habitants sur le territoire desquels elle a été érigée, qui restent sans électricité à ce jour. Ainsi, en pratique, la situation est telle que, bien que le Kenya soit très avancé dans le domaine des énergies renouvelables, la population locale dans la zone spécifique où elle est produite n’en bénéficie pas.
L’installation a été établie dans une zone aride où vit une population d’éleveurs de troupeaux (principalement des chameaux) et les groupes ethniques qui vivent dans la région (Turkana, Rendile et Samburu) mènent des modes de vie caractérisés par des migrations ou des semi-migrations. Les chercheurs soulignent que dans des projets comme celui-ci dans les pays en développement, il peut se créer un processus connu sous le nom de « Leapfrog » : au lieu que les communautés se connectent d’abord à l’électricité produite à partir de combustibles fossiles polluants, et ne passent que plus tard aux énergies renouvelables, ils peuvent « sauter une étape » et se connecter directement à une électricité propre. Mais dans ce cas, cela ne s’est pas produit. « C’est une occasion ratée », affirment les chercheuses.
Selon le Dr Nurit Shamshoni-Yafa, les habitants veulent se connecter à l’électricité, mais des options qui pourraient mieux convenir à leurs conditions de vie nomades, caractérisées par une faible densité, comme la mise en place de petits réseaux locaux indépendants du réseau central, ne se réalisent pas. Hila Segal-Klein s’est demandée pourquoi une prise n’avait pas été tirée du sol près des éoliennes, afin que les habitants puissent profiter de l’électricité qu’elles produisent. « Jusqu’où irions-nous avec une pensée créative pour connecter les habitants à l’électricité s’il s’agissait d’une population différente? » Elle s’interroge : « on ne leur propose pas d’électricité, ils voient l’électricité passer au-dessus d’eux, mais ils restent déconnectés. »
« Personne ne veut vivre dans la pauvreté »
Selon Hila Segal-Klein, connecter les communautés à l’électricité peut avoir un impact significatif sur la vie des résidents. « Personne ne veut vivre dans la pauvreté », dit-elle. « Il y a des aspects traditionnels et importants dans la vie de la population locale qu’ils aimeraient préserver, par respect pour leur histoire, mais l’électricité est un besoin fondamental qui peut changer leur vie, et permettre l’implantation de pompes à eau électriques, par exemple. Ils seraient contents de continuer à vivre dans leurs cases, mais d’avoir l’électricité jusqu’au frigo ».
Selon le Dr Shamshoni-Yepa, la population locale ne s’est pas prononcée contre le projet, en partie parce qu’elle ne reçoit pas d’informations adéquates sur les projets prévus, mais que les habitants ont exprimé des demandes claires aux entreprises qui l’ont créée concernant l’indemnisation de la terre. « Par exemple, l’un des villages a dû déménager pour le projet », dit-elle. « Les habitants se sont organisés de manière impressionnante, entre autres avec une organisation locale à but non lucratif appelée Friends of Lake Turkana (FOLT) qui défend les droits de la population locale face aux différents projets dans la région. »
Une question problématique à laquelle les personnes concernées ont dû faire face est la question de la propriété de la zone : bien que les habitants vivent dans la zone depuis des centaines d’années, officiellement la zone n’est pas une propriété privée, comme cela est défini dans notre pays. « Bien que la Cour suprême du Kenya ait discuté et statué sur la question de l’indemnisation financière des résidents, ses décisions n’ont pas encore été mises en œuvre », déclare Nurit Shamshoni-Yepa. « Les résultats ne sont pas satisfaisants. »
Ne pas se fier aveuglément aux entreprises
Bien que l’étude se réfère à un cas spécifique d’un parc de turbines en Afrique, les chercheurs affirment qu’il faut étudier le phénomène de façon globale. « Au niveau le plus élémentaire, la durabilité est un tout incluant les liens humains et sociaux », explique le Dr Shamshoni-Yepa. « Dans ce cas, nous pouvons apprendre que si l’un des objectifs du développement durable est promu sans promouvoir d’autres objectifs, tels que l’objectif N° 1, l’éradication de la pauvreté, le tableau d’ensemble n’est pas très positif. »
Un autre point soulevé par l’étude est que la prise en charge des riverains incombait au groupe d’entreprises qui a mis en œuvre le projet : « Cela relève de la responsabilité globale de s’assurer que ce genre de choses cela n’arrive pas, car au final, l’entreprise ne représente qu’elle-même », dit Nurit Shamshoni-Yepa. Hila Segal-Klein précise l’appel : « L’État doit prendre ses responsabilités, surtout à la lumière des objectifs de l’ONU et du traité que le Kenya a signé. Sa mission est de voir l’ensemble. Il est vrai que de nombreux pays d’Afrique ont besoin d’entreprises, mais il y a d’autres problèmes que l’énergie auxquels ils doivent s’attaquer, tels que l’éradication de la pauvreté, la santé, l’accès aux ressources… Cette nouvelle étude est environnementale, mais elle relève aussi du domaine des sciences sociales », dit-elle.
« Il était important de présenter notre recherche à cette conférence. On voulait tenir dans un discours différent. On parle sans cesse d’interdisciplinarité, alors voilà. On voulait sortir du discours scientifique standard et avoir une vision globale, sur une société, et son lien avec un lieu », explique Hila Segal-Klein.
Il ne fait aucun doute que la tendance au développement des énergies renouvelables est la bienvenue, notamment dans les pays en développement, qui constituent un élément essentiel de la lutte contre la crise climatique.
Maintenant, il faut espérer que les différentes entreprises dans le monde (et aussi en Israël) pourront profiter de l’occasion, intégrer la multitude de facteurs qui influencent et sont affectés par l’environnement, et traiter les question de la durabilité non seulement comme une question qui exige le respect de l’un ou l’autre des objectifs, mais dans son ensemble, qui prend également en compte le bien-être des personnes.
Auteur Gili Cohen pour Zavit 30 juillet 2022
Traduit et adapté par Esther Amar pour Israël Science Info