MACF, Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) : l’Union européenne légifère aussi pour les autres pays, dont Israël

Zavit. Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) est un nouvel instrument règlementaire européen dédié à la lutte contre les fuites de carbone. Il vise à soumettre les produits importés dans le territoire douanier de l’Union Européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits. Or, les fabricants et exportateurs du monde entier s’inquiètent de ce nouveau mécanisme visant à réduire les émissions de CO2. Parallèlement, les tâtonnements d’Israël en matière de tarification du carbone entraînent des pertes de revenus.

Ces derniers mois, le monde de la lutte contre le changement climatique a été secoué par la faillite de la start-up américaine Aspiration Partners, qui commercialisait des crédits carbone et proposait des solutions vertes aux entreprises. La société, soutenue par des célébrités et des investisseurs de premier plan, dont des joueurs de NBA et des acteurs comme Leonardo DiCaprio et Robert Downey Jr., a déposé le bilan début 2025 après la révélation de transactions douteuses. Son cofondateur, Joseph Neil Senberg, a plaidé coupable en août 2025 de deux chefs d’accusation de fraude liés à la présentation erronée des revenus et de la situation financière de l’entreprise.

Cette faillite a ébranlé la confiance des investisseurs et du public dans le marché volontaire du carbone et a démontré l’importance de mécanismes supervisés et transparents pour la tarification des émissions de carbone. Cet événement a clairement démontré pourquoi la réglementation européenne dans ce domaine, notamment le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), n’est pas une simple initiative environnementale de plus, mais une véritable transformation structurelle et réglementaire mondiale. Elle permet de fixer le prix du carbone de manière transparente et de réduire les inquiétudes des investisseurs et du public face aux fraudes similaires à celles d’Aspiration Partners. De nombreux exportateurs vers l’Union européenne connaissent déjà l’acronyme MACF. Il s’agit d’une réglementation européenne sur le climat visant à réduire les « fuites de carbone » de l’Union européenne vers d’autres pays. Ces fuites sont la conséquence de la réglementation européenne stricte, notamment du marché du carbone obligatoire mis en place dans le cadre de la lutte contre la crise climatique. Afin d’éviter de payer pour leurs émissions de carbone, certaines entreprises européennes ont délocalisé leurs activités polluantes. Cette délocalisation pourrait nuire à l’économie européenne, et le MACF a été conçu précisément pour y remédier.

Comment fonctionne le MACF ?

Pour prévenir les fuites de carbone et les atteintes à la compétitivité, le MACF oblige les importateurs à acheter des certificats reflétant l’écart de prix entre le marché européen du carbone et celui du pays d’origine. Si le pays d’origine dispose d’un mécanisme de tarification du carbone, le coût de ce mécanisme peut être déduit de la redevance. Il est important de préciser que l’UE ne considère pas ce mécanisme comme un tarif douanier et évite d’ailleurs d’utiliser le terme « tarif douanier » en lien avec le mécanisme de tarification du carbone. La première phase de ce mécanisme impose déjà aux importateurs de l’Union européenne dans six secteurs (acier et fer, aluminium, ciment, engrais, hydrogène et électricité) de déclarer leurs émissions de gaz à effet de serre. À partir de janvier 2026, les exportateurs seront tenus d’acheter des certificats pour les émissions contenues dans les produits importés sur le marché européen, à moins qu’ils ne puissent prouver avoir été facturés d’un prix du carbone dans le pays d’origine. Dans la mesure où le pays d’origine applique un mécanisme de tarification du carbone, le prix local peut être déduit de la redevance européenne. Le mécanisme de tarification du carbone est incontournable. Il a suscité de vives réactions à l’échelle mondiale car, de fait, il rend les importations sur le marché européen moins compétitives. Tous les pays du monde n’intègrent pas la tarification du carbone à leur politique climatique. Certains privilégient des approches réglementaires telles que la fixation de normes pour les produits et la promotion des technologies propres. L’approche réglementaire actuelle est incompatible avec les exigences du mécanisme de tarification du carbone (MTC), ce qui explique les critiques de nombreux pays et leurs intentions de saisir l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils estiment que ce mécanisme pénalise les politiques climatiques légitimes qui ne reposent pas sur un marché du carbone.

À ce jour, seule la Russie a déposé une plainte officielle auprès de l’OMC en mai 2025. L’impact du MTC ne se limite pas à l’Union européenne. Selon le rapport du RFF, 37 pays ont mis en place des mesures de tarification du carbone depuis 2019, et l’on observe une tendance croissante à envisager un MTC national depuis l’entrée en vigueur de l’obligation de déclaration en octobre 2023. Les États-Unis étudient une législation (le Foreign Pollution Fee Act) qui pourrait imposer des taxes sur les produits importés en fonction de l’intensité des émissions liées à leur production. Le Canada, l’Australie et Taïwan envisagent également des mécanismes de tarification du carbone. Ainsi, même si une entreprise tente de détourner ses exportations des pays de l’UE pour éviter une réglementation plus stricte, elle pourrait se retrouver confrontée à des mécanismes similaires ailleurs. Il est donc économiquement judicieux pour les pays de développer leurs propres mécanismes de tarification du carbone en réponse au MTC.

Pourquoi permettre à l’UE de percevoir des recettes sur les émissions alors que les pays peuvent le faire eux-mêmes ? C’est pourquoi on estime que le mécanisme de tarification du carbone (CBAM) favorisera la mise en place d’autres mécanismes de tarification du carbone dans le monde entier au cours des prochaines années. De plus, le fait que les entreprises du monde entier investissent des sommes considérables pour se conformer aux exigences de déclaration du CBAM et aux autres réglementations pourrait inciter les pays dépourvus de mécanismes commerciaux à promouvoir une réglementation nationale dans ce domaine.

Les pays concernés 

Un rapport de l’IETA indique que l’impact du CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) devrait être significatif dans de nombreux pays. Des pays comme la Chine, l’Inde, la Turquie, la Russie, l’Ukraine, la Corée du Sud, le Royaume-Uni et l’Afrique du Sud se distinguent par leur forte exposition, que ce soit en raison du volume de leurs exportations vers l’Europe ou de l’intensité des émissions de leurs industries. Le secteur sidérurgique représente à lui seul environ 66 % de l’exposition réglementaire totale à ce mécanisme, ce qui en fait le secteur le plus touché au monde. Les petits pays devraient également être fortement impactés. Par exemple, 90 % des exportations d’acier du Zimbabwe (0,5 % du PIB) sont destinées à l’Union européenne.

Le Royaume-Uni, qui promeut son propre mécanisme d’échange de quotas d’émission de carbone (CBAM) et l’harmonise avec celui de l’Union européenne, devrait bénéficier de cette exemption. De nombreux autres pays ont commencé à promouvoir ou à développer des mécanismes d’échange de quotas d’émission. La Chine étend son système d’échange de quotas d’émission de carbone, met en œuvre des normes d’émission au niveau des produits et investit massivement dans les technologies de production à faibles émissions de carbone. La Turquie, qui exporte près de 40 % de sa production vers l’Europe, a annoncé son intention de mettre en place un système d’échange de quotas d’émission. Une tendance similaire se dessine dans d’autres pays.

Qu’en est-il d’Israël ?

Israël ne dispose pas d’un mécanisme de tarification du carbone conforme aux exigences du mécanisme de tarification du carbone (CBAM). Bien qu’une taxe d’accise soit appliquée aux carburants, il ne s’agit pas d’une taxe carbone directe sur les émissions à la cheminée. L’Union européenne ne reconnaît pas ce mécanisme, car en l’absence d’une tarification directe et claire des émissions de gaz à effet de serre, il est difficile de comparer les mécanismes et d’en quantifier l’efficacité. Par conséquent, l’industrie israélienne devrait être impactée. De plus, l’impact ne se limite pas aux six secteurs couverts par le mécanisme, mais s’applique également aux produits contenant les composants concernés, selon un codage défini (codes CN). Selon une estimation de 2021, environ 112 millions d’euros d’exportations israéliennes vers l’UE seront affectés par la phase initiale du CBAM, et cet impact devrait s’accroître avec l’extension de la réglementation. Il convient de rappeler que les entreprises israéliennes qui produisent à l’étranger seront également concernées par le mécanisme, en fonction du pays de production.

Actuellement, la politique gouvernementale vise principalement à soutenir l’industrie israélienne suite à la hausse des taxes d’accise sur les carburants. L’État a lancé des appels à projets pour soutenir les usines qui s’engagent à réduire leurs émissions polluantes. Il s’agit d’une étape importante, mais aucune réponse systémique n’a été apportée à la perte de revenus liée au mécanisme d’échange de quotas d’émission de carbone (CBAM). En Israël, des discussions sont en cours sur les mesures politiques nécessaires pour se conformer aux exigences du CBAM. De prime abord, l’orientation principale des discussions consiste à trouver un moyen pour que l’Union européenne reconnaisse les paiements carbone effectués en Israël afin de compenser les paiements européens.

Si l’on examine la situation mondiale, on constate, d’après la Banque mondiale, que la plupart des nouvelles mesures politiques consistent en la création de mécanismes d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, et cette tendance devrait se poursuivre. Compte tenu du potentiel limité du marché du carbone dans l’économie israélienne, j’ai déjà suggéré qu’Israël envisage la création d’un marché du carbone commun avec les pays signataires des accords d’Abraham. Entre-temps, ces pays ont commencé à œuvrer, dans le cadre de la Ligue arabe et d’autres instances, à la mise en place de mécanismes d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre sans la participation d’Israël. Même si cette question n’est pas la priorité absolue d’Israël, nous devons agir dès aujourd’hui pour instaurer une tarification du carbone efficace, car c’est vers cela que tend le monde. Partout dans le monde, les pays s’orientent vers une tarification du carbone et un marché du carbone réglementé et transparent, notamment pour éviter les défaillances et la perte de confiance révélées par l’affaire Aspiration, et aussi pour préserver leurs intérêts nationaux. La préparation de ces processus prend des années, et il est regrettable qu’Israël perde des revenus dont nous avons plus que jamais besoin, ce qui nuira à la compétitivité de son industrie.

Galit Palzur est économiste, spécialiste de la gestion des risques climatiques, du développement durable, des catastrophes naturelles et des événements extrêmes. Elle est également membre du Forum Deborah.

Source agence Zavit