Les chercheurs du laboratoire du Prof. Inna Slutsky, de la Faculté de médecine et de l’École des neurosciences de l’Université de Tel-Aviv ont découvert qu’un médicament existant pour la sclérose en plaques pourrait également aider les patients épileptiques, dont 30 à 40% sont actuellement sans traitement, y compris les enfants souffrant du syndrome de Dravet, forme rare et particulièrement grave d’épilepsie infantile. Cette découvert importante découle d’une autre percée scientifique : le déchiffrement du mécanisme qui régule l’activité cérébrale et maintient sa stabilité. Selon les chercheurs, ces résultats sont susceptibles de constituer la base du développement de médicaments pour toute une série de maladies neurologiques et neurodégénératives comme le Parkinson et l’Alzheimer qui se caractérisent, comme l’épilepsie, par un déséquilibre de l’activité cérébrale.
Un thermostat du système nerveux
« Dès la fin du 19ème siècle, les scientifiques ont commencé à rechercher le mécanisme responsable de l’homéostasie, la capacité du corps à maintenir un équilibre interne stable, malgré les changements dans l’environnement extérieur », explique le Prof. Slutsky, « et depuis 25 ans la science se préoccupe de ce phénomène en particulier dans les réseaux nerveux. Il s’agit d’un dispositif de stabilisation homéostatique qui constitue une sorte de thermostat de l’activité du système nerveux, et prend soin de le ramener à son point d’équilibre de départ après tout événement qui en augmente ou en diminue l’activité. Mais malgré tous les efforts déployés à ce sujet depuis si longtemps, personne jusqu’à aujourd’hui n’a découvert le mécanisme qui régule cet équilibre. Or, on sait que le déséquilibre de certaines régions du cerveau constitue un facteur central pour un grand nombre de maladies du cerveau, y compris l’épilepsie, le Parkinson et l’Alzheimer. Cependant, la plupart des études réalisées jusqu’à présent ont porté sur les failles du processus de régulation. Nous avons cherché à tester une autre hypothèse : serait-il possible que la maladie provienne du fait que le point d’équilibre lui-même dévie de la norme ? En d’autres termes : est-ce qu’une partie du processus de la maladie est due à un défaut qui provoque le maintien du point d’équilibre à un niveau trop faible ou trop élevé ? Pour trouver la réponse à cette question, nous nous sommes concentrés sur l’épilepsie, qui se caractérise par une activité excessive des réseaux de neurones dans la région de l’hippocampe du cerveau ».
Un gène responsable de l’activité accrue du cerveau
Dans la mesure où il existe un lien étroit entre les processus métaboliques et l’activité neuronale, et sachant que l’épilepsie s’accompagne de changements importants de l’activité métabolique du cerveau, les chercheurs ont utilisé un modèle informatique mis au point dans le laboratoire du Prof. Eytan Ruppin pour cartographier les processus métaboliques dans les cellules. Le doctorant Nir Gonen a fourni à ce modèle des données provenant de bases de données internationales concentrant des informations génétiques sur des patients souffrant d’épilepsie, et a ensuite éteint l’activité de chacun des gènes séparément, pour examiner son impact. En particulier, on a cherché à vérifier quel est le gène dont l’extinction rapproche les cellules d’une situation épileptique à une situation normale.
Le modèle a montré qu’un gène spécifique, le DHODH, qui produit une enzyme du même nom, joue probablement un rôle clé dans l’épilepsie et dans l’activité cérébrale accrue qui lui est associée. « Nous savons qu’un médicament existant pour la sclérose en plaques, la Tériflunomide supprime l’activité de cet enzyme dans les cellules sanguines du système immunitaire. Nous avons donc choisi d’examiner l’effet de ce même médicament sur les cellules du cerveau », explique le Prof. Slutsky. Le doctorant Boaz Styr a donc ajouté ce médicament in vitro à des cellules saines du cerveau, et a constaté qu’il inhibe en effet de manière significative l’activité neuronale. Il s’est ensuite aperçu que si ce même médicament restait in vitro pendant longtemps, cette inhibition devenait permanente. Ceci contrairement à la plupart des médicaments, qui inhibent l’activité des cellules pour un temps limité seulement en raison de la compensation homéostatique qui ramène l’activité à son point de départ, c’est-à-dire autour du point d’équilibre initial.
Sur la voie d’une nouveau médicament pour le traitement de l’épilepsie
« Ces résultats suggèrent qu’il est possible que le DHODH ait une influence sur le point d’équilibre lui-même », poursuit le Prof. Slutsky. « Et en effet, un examen in vitro de la réaction de cellules traitées par le médicament à une variété de stimuli a montré que leur activité revenait toujours au nouveau point d’équilibre, devenu permanent sous l’influence du médicament. C’est-à-dire que le médicament qui agit sur le DHODH peut réparer le point d’équilibre qui a dévié de la norme, et le ramener à la normale. Le Prof. Slutsky compare ce processus à celui du thermostat d’un climatiseur, qui ramène la température au niveau souhaité ».
A l’étape suivante, le doctorant Daniel Zarchin a examiné l’effet du médicament sur des souris de laboratoire, dans deux cas : celui de la crise d’épilepsie aiguë et immédiate, et celui du syndrome chronique de Darvet, forme grave d’épilepsie infantile, généralement insensible aux médicaments antiépileptiques actuellement disponibles. L’injection du médicament a conduit à des résultats très encourageants: dans les deux cas on a observé un retour à une activité cérébrale à la normale, et une diminution spectaculaire de la gravité des crises. Cependant, il est important de noter que le Tériflunomide doit subir un développement supplémentaire avant de pouvoir être utilisé chez les patients souffrant d’épilepsie.
« Nous avons découvert un nouveau mécanisme responsable de la régulation de l’activité du cerveau dans l’hippocampe, qui peut servir de base pour le développement de futurs médicaments efficaces contre l’épilepsie », conclut le Prof. Slutsky. « Les médicaments basés sur ce nouveau principe peuvent donner de l’espoir aux 30% à 40% d’épileptiques qui ne réagissent pas aux traitements existants, y compris les enfants atteints du syndrome de Dravet, dont environ 20% meurent des suites de la maladie. Nous supposons également que ce même mécanisme d’absence de régulation du point d’équilibre est présent également dans d’autres maladies neurologiques et neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, qui se caractérisent également par une activité anormale de différentes régions du cerveau. Dans une nouvelle étude, nous examinons maintenant l’efficacité de notre approche pour le traitement de la maladie d’Alzheimer ».
L’étude a été menée par les doctorants Boaz Styr, Nir Gonen et Daniel Zarhin du laboratoire du Prof. Slutsky, en collaboration avec le Prof. Eytan Ruppin des Instituts Américains de la Santé (NIH). Y ont également participé les laboratoires du Prof. Tamar Geiger et du Dr. Moran Rubenstein de l’Université de Tel-Aviv, du Prof. Dori Derdikman du Technion, et les Dr. Antonella Ruggiero, Rafaela Atsmon, Neta Gazit, Gabriella Braun, Samuel Perera, Irena Ortkin, Shapira Ilana, Lior Lavie et Maxim Katsenelson du laboratoire du Prof. Slutsky.
Publication dans Neuron, 29 avril 2019
Auteur : Sivan Cohen-Wiesenfeld, PhD, Rédac’chef de la newsletter des Amis français de l’Université de Tel Aviv