Méditerranée, bactéries et virus : "stoppons l’hémorragie des déchets plastiques à terre"
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Pourrait-on un jour attraper le choléra simplement en se baignant dans la Méditerranée ? C’est la question que se posent les scientifiques après avoir passé 4 semaines à étudier la pollution plastique en Méditerranée. Avec ses 46000 km² de littoral, la Méditerranée est la plus grande mer semi-fermée au monde. Elle s’étend sur 24 pays et territoires d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient. Région naturelle et stratégique, elle joue un rôle fondamental dans le développement des territoires qui l’entourent. Or, chaque année 600000 tonnes de plastique sont rejetées en Méditerranée, selon un récent rapport du WWF qui a analysé la responsabilité de 22 pays riverains, dont Israël, face à ce fléau.
Les scientifiques de Expéditions Med ont livré leurs premières conclusions… et elles sont alarmantes. Bien plus petits qu’un confetti, les micro-plastiques véhiculent des bactéries et des virus potentiellement dangereux. Depuis une dizaine d’années, les déchets plastiques contaminent la mer Méditerranée. Ils sont estimés à 250 milliards de fragments. Cette pollution pourrait se révéler plus dangereuse encore. Ces petits morceaux de plastiques flottants, souvent invisibles à l’œil nu, véhiculent aussi des bactéries, et parfois même des virus pathogènes pour l’homme et l’animal, sur des centaines de kilomètres. Ces déchets ne se dégraderont pas avant plusieurs centaines d’années.
Du plastique colonisé par de nouvelles bactéries
C’est ce que révèlent les scientifiques de Expéditions Med, un laboratoire citoyen dédié à l’étude de la pollution plastique en mer Méditerranée. Pendant quatre semaines en mer, de Rome à Marseille, en passant par le nord de la Corse jusqu’à Saint-Laurent-du-Var, puis Toulon et Port-Saint-Louis, les chercheurs et les volontaires ont effectué des prélèvements de micro-plastiques le long des côtes. Leur but ; étudier la composition de ces fragments et les bactéries qui les colonisent. Et leur découverte est surprenante, voire inquiétante.
Un nouvel écosystème qui s’est créé par la présence de ces débris plastiques et il peut potentiellement y avoir de gros soucis avec ces bactéries. Le film de micro-organismes qui enveloppe le plastique sera scrupuleusement étudié par des laboratoires du monde entier. On appelle cela : la plastisphère, en référence à la biosphère, soit la vie sur la terre. Le phénomène n’est connu que depuis 2017.
« On s’est aperçu qu’il y avait un nouvel écosystème qui s’est créé par la présence de ces débris plastiques, qui ne se dégradent pas en mer et parcourent des milliers de kilomètres. Sauf qu’il peut potentiellement y avoir de gros soucis avec ces bactéries », explique Bruno Dumontet, directeur de Expéditions Med.
Ces algues, bactéries, virus, ou invertébrés microscopiques voyagent mieux et bien plus longtemps que sur du bois ou des plumes, que l’on trouvait auparavant en mer.
Le choléra au milieu de l’océan
Jusqu’où la contamination des déchets plastiques peut s’infiltrer dans la chaîne alimentaire ? L’inquiétude des scientifiques réside dans la difficulté de déterminer. Pendant longtemps, personne n’a soupçonné la dangerosité de cette pollution plastique, aux fragments aussi petits qu’un confetti (moins de 5 millimètres). Ces micro-déchets sont pourtant porteurs d’un véritable cocktail toxique, révèle Expéditions Med.
Quels risques et maladies certains organismes pathogènes pourraient-ils entraîner ? Il est urgent d’enquêter. Des espèces invasives ou porteuses de maladies, voire même dangereuses pour l’homme, ont déjà été retrouvées sur des fragments de plastique. C’est le cas de la bactérie Vibrio, porteuse du choléra, une maladie épidémique contagieuse.
« Quels risques et maladies certains organismes pathogènes, notamment la bactérie du genre Vibrio ou des algues responsables des floraisons algales toxiques, pourraient-ils entraîner chez l’homme et les espèces aquatiques ? Il est urgent d’enquêter », alerte Bruno Dumontet.
Les bactéries du groupe Vibrio peuvent en effet causer des maladies gastro-intestinales chez les poissons, et donc potentiellement contaminer des élevages de poissons.
Recherches d’avant-garde
Ces découvertes alarmantes, la communauté scientifique les doit à Linda Amaral-Zettler et Erik Zettler, deux chercheurs américains travaillant aux Pays-Bas qui ont découvert et nommé la « plastisphère » il y a seulement deux ans. Expéditions Med collabore avec ces pionniers depuis le début des recherches.
« Depuis une dizaine d’années, beaucoup se sont mis à étudier la quantité de plastique en mer et dans l’océan, mais très peu travaillent sur ce que ces plastiques sont susceptibles de transporter », détaille Tosca Ballerini, coordinatrice scientifique de Expéditions Med.
« On travaille avec les chercheurs américains du NIOZ-Royal Netherlands Institute for Sea Research qui ont inventé le terme de plastisphère. Nous avons déjà fait 200 prélèvements pour eux depuis le début de ces recherches. Nous sommes en train d’écrire nos premiers résultats scientifiques au vu des données récoltées depuis deux ans ».
Des alternatives au recyclage
Face à ces dangers potentiels encore méconnus, les membres de Expéditions Med sensibilisent le public une fois à terre en donnant des conférences. Des volontaires peuvent également participer à une expédition, et apprendre à réaliser des prélèvements.
« Une fois que les déchets sont en mer, c’est trop tard. Il faut vraiment stopper l’hémorragie à terre », prévient Bruno Dumontet. Mais au-delà de cette découverte alarmante, conséquence du réchauffement environnemental, certaines bactéries découvertes par les scientifiques pourraient se révéler potentiellement bénéfiques, notamment dans le processus de recyclage du plastique.
Avec un espoir, peut-être, de mettre au jour de nouvelles manières de recycler nos déchets.
Par Emma Derome et Alexandre Lepinay, le 11/08/2019 pour France 3 Régions
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