Récemment, nous avons mis en ligne un article annonçant que le Prof Rennan Barkana de l’Université de Tel Aviv avait montré l’existence de la matière noire. Nous avons proposé au Dr David Elbaz*, directeur de recherche au CEA, membre du comité scientifique d’Israël Science Info, de commenter ces travaux. Cet astrophysicien français de renommée internationale avait publié en 2009 un article dans Astronomy and Astrophysics émettant la théorie révolutionnaire que les trous noirs ont donné naissance aux galaxies.
Dr David Elbaz : « Une découverte a surpris la communauté scientifique au début du mois de mars 2018. Des astronomes australiens ont installé une antenne radio semblable à une table de pique-nique dans un endroit isolé en Australie Occidentale. Au beau milieu d’un flot d’ondes radio mesurées autour de 80 MHz, une forte baisse d’intensité indique que de la matière présente quelque part dans l’univers absorbe une partie du signal. La fréquence de cette absorption indique qu’il s’agit d’atomes d’hydrogène situés à une distance qui remonte à 180 millions d’années après le Big Bang. Ces atomes ont absorbé le rayonnement du Big Bang (le fond diffus cosmologique) avec une efficacité deux à trois fois supérieure à ce que les modèles prévoyaient.
Il existe plusieurs explications possibles à ce phénomène, aucune n’étant dans la droite ligne de ce que prévoyait la théorie. L’une d’elles, proposée par le Prof. Rennan Barkana de l’Université de Tel Aviv, implique la fameuse matière noire dont la nature reste entièrement inconnue et dont on a déduit l’existence en étudiant les mouvements des étoiles et des galaxies dans l’univers. Selon cette explication, le milieu diffus qui emplit l’univers et est essentiellement constitué d’atomes d’hydrogènes aurait été refroidi par la matière noire qui agirait comme une sorte de réfrigérateur cosmique. Cette hypothèse permettrait d’expliquer la forte efficacité d’absorption du milieu diffus responsable de l’absorption mesurée à 80 MHz. La matière noire serait alors constituée de particules dont la masse ne dépasserait pas environ cinq fois la masse du proton (et du neutron), mais pourrait être bien plus faible que cela.
Depuis la publication de l’article de Barkana, plusieurs autres articles ont étudié la question et les derniers en date déclarent que ce type de matière noire engendre d’autres problèmes. Par exemple, les grumeaux observés dans la lumière qui nous vient de l’horizon cosmique de l’univers n’auraient pas les tailles que l’on observe.
Alors a-t-on enfin résolu le mystère de la fameuse matière noire ? Que pense aujourd’hui la communauté scientifique ?
Il est bien trop tôt pour conclure de ces observations que le problème est résolu. D’un côté, l’hypothèse de Barkana engendre d’autres problèmes, et d’un autre côté, le signal mesuré par le radiotélescope australien a une forme assez étrange qui conduit les astronomes à se demander si la mesure ne souffre pas d’incertitudes sous-estimées. Il faudra probablement attendre les nouvelles générations de radiotélescopes d’une puissance bien plus grande pour en avoir le coeur net, comme le projet SKA équivalent à une surface collectrice d’un kilomètre carré dont la construction a commencé sur plusieurs sites dont celui d’Australie Occidentale où cette récente mesure a eu lieu ».
Propos recueillis par Esther Amar pour Israël Science Info
*David Elbaz, astrophysicien, est directeur de recherche Commissariat à l’Energie Atomique (CEA Saclay), où il dirige le laboratoire Cosmologie et Evolution des Galaxies. Il est conseiller scientifique auprès de l’agence spatiale européenne pour la sélection de ses futures missions spatiales (ESA, AWG) et membre du Comité d’évaluation sur la recherche et l’exploration spatiales pour le centre national d’étude spatiales (CNES).
Spécialisé dans l’étude de la formation des galaxies, David Elbaz est auteur/co-auteur de 235 publications dont plus de 60 avec plus de 100 citations. Ses travaux sur la formation des galaxies ont été primés par le Prix Chrétien de la Société Américaine d’Astronomie (2000). Il enseigne un cours sur la formation des galaxies au master M2 Astronomie & d’Astrophysique de Paris. David Elbaz est auteur et co-auteur de 235 publications dont plus de 60 avec plus de 100 citations.
Parallèlement à ses activités de recherche en astrophysique, il travaille à la diffusion des connaissances scientifiques. Son dernier livre « à la recherche de l’univers invisible: matière noire, énergie noire, trous noirs » est sorti en octobre 2016 aux éditions Odile Jacob.
voir aussi le communiqué du CNRS