Pourquoi les hémisphères de la Terre semblent-ils aussi lumineux l’un que l’autre lorsqu’ils sont vus de l’espace ? Les scientifiques de l’Institut Weizmann proposent une réponse à ce mystère vieux de 50 ans.
Lorsque l’on observe la Terre depuis l’espace, ses hémisphères – nord et sud – apparaissent tout aussi brillants. C’est particulièrement inattendu car l’hémisphère sud est principalement recouvert d’océans sombres, alors que l’hémisphère nord possède une vaste zone terrestre beaucoup plus lumineuse que ces océans. Pendant des années, la symétrie de luminosité entre les hémisphères est restée un mystère. Des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences et leurs collaborateurs ont révélé une forte corrélation entre l’intensité des tempêtes, la nébulosité et le taux de réflexion de l’énergie solaire dans chaque hémisphère. Ils proposent une solution au mystère, ainsi qu’une évaluation de la manière dont le changement climatique pourrait modifier le taux de réflexion à l’avenir.
Dès les années 1970, lorsque les scientifiques ont analysé les données des premiers satellites météorologiques, ils ont été surpris de constater que les deux hémisphères réfléchissent la même quantité de rayonnement solaire. La réflectivité du rayonnement solaire est connue dans le jargon scientifique sous le nom d’ »albédo ». Pour mieux comprendre ce qu’est l’albédo, pensez à la conduite de nuit : il est facile de repérer les lignes blanches intermittentes, qui reflètent bien la lumière des phares de la voiture, mais difficile de discerner l’asphalte sombre. Il en va de même lorsqu’on observe la Terre depuis l’espace : le rapport entre l’énergie solaire qui frappe la Terre et l’énergie réfléchie par chaque région est déterminé par différents facteurs. L’un d’eux est le rapport entre les océans sombres et les terres claires, qui diffèrent en termes de réflectivité, tout comme l’asphalte et les lignes blanches intermittentes. La surface de terre dans l’hémisphère nord est environ deux fois plus grande que celle dans l’hémisphère sud et, en effet, lorsque l’on fait les mesures près de la surface de la Terre lorsque le ciel est dégagé, on constate une différence de plus de 10 % dans l’albédo des deux hémisphères. Pourtant, les deux hémisphères semblent être aussi brillants l’un que l’autre depuis l’espace.
Dans cette étude, l’équipe de chercheurs, dirigée par les professeurs Yohai Kaspi et Or Hadas du Département des Sciences de la Terre et des Planètes de Weizmann, s’est intéressée à un autre facteur influençant l’albédo, situé en haute altitude et réfléchissant le rayonnement solaire : les nuages. L’équipe a analysé les données provenant des bases de données les plus avancées au monde, notamment les données sur les nuages recueillies par les satellites de la NASA (CERES), ainsi que les données de l’ERA5, qui est une base de données météorologiques mondiales contenant des informations recueillies à l’aide de diverses sources dans l’air et au sol, remontant à 1950. Les données d’ERA5 ont été utilisées pour compléter les données sur les nuages et pour établir une corrélation croisée entre 50 ans de ces données et des informations sur l’intensité des cyclones et des anticyclones.
Ensuite, les scientifiques ont classé les tempêtes des 50 dernières années en trois catégories, en fonction de leur intensité. Ils ont découvert un lien direct entre l’intensité des tempêtes et le nombre de nuages qui se forment autour de la tempête. Alors que l’hémisphère nord et les zones terrestres en général sont caractérisés par des tempêtes plus faibles, au-dessus des océans dans l’hémisphère sud, les tempêtes modérées et fortes prédominent. L’analyse des données a montré que le lien entre l’intensité des tempêtes et la nébulosité explique la différence de nébulosité entre les hémisphères. « On a constaté que l’albédo des nuages résultant des fortes tempêtes au-dessus de l’hémisphère sud compensait avec une grande précision la grande surface terrestre de l’hémisphère nord, et que la symétrie était donc préservée », explique le Prof. Hadas, qui ajoute : « Cela suggère que les tempêtes sont le facteur de liaison entre la luminosité de la surface de la Terre et celle des nuages, ce qui résout le mystère de la symétrie. »
Le changement climatique pourrait-il rendre l’un des hémisphères plus sombre ?
La Terre a connu une évolution rapide ces dernières années, en raison du changement climatique. Pour examiner si et comment cela pourrait affecter la symétrie de l’albédo hémisphérique, les scientifiques ont utilisé le modèle CMIP6, un ensemble de modèles utilisés par des centres de modélisation climatique du monde entier pour simuler le changement climatique. L’une des principales faiblesses de ces modèles est leur capacité limitée à prévoir le degré de nébulosité. Néanmoins, la relation trouvée dans cette étude entre l’intensité des tempêtes et la nébulosité permet aux scientifiques d’évaluer les futures quantités de nuages, sur la base des prévisions de tempêtes.
Selon les modèles, le réchauffement climatique entraînera une diminution de la fréquence de toutes les tempêtes au-dessus de l’hémisphère nord et des tempêtes faibles et modérées au-dessus de l’hémisphère sud. En revanche, les tempêtes les plus fortes de l’hémisphère sud s’intensifieront. La cause de ces différences prévues est « l’amplification arctique », un phénomène dans lequel le pôle Nord se réchauffe deux fois plus vite que le taux de réchauffement moyen de la Terre. On pourrait penser que cette différence devrait briser la symétrie de l’albédo hémisphérique. Toutefois, les recherches montrent qu’une augmentation supplémentaire de l’intensité des tempêtes pourrait ne pas modifier le degré de nébulosité dans l’hémisphère sud, car les quantités de nuages atteignent la saturation dans les tempêtes très fortes. La symétrie pourrait donc être préservée.
« Il n’est pas encore possible de déterminer avec certitude si la symétrie sera rompue face au réchauffement climatique », déclare le Prof. Kaspi. « Cependant, cette nouvelle recherche résout une question scientifique fondamentale et approfondit notre compréhension de l’équilibre radiatif de la Terre et de ses effecteurs. Au fur et à mesure que le réchauffement climatique se poursuit, les solutions de géo-ingénierie deviendront vitales pour que la vie humaine puisse s’y adapter. J’espère qu’une meilleure compréhension des phénomènes climatiques fondamentaux, tels que la symétrie de l’albédo hémisphérique, contribuera à l’élaboration de ces solutions. »
George Datseris et le Pr Bjorn Stevens de l’Institut Max Planck de Météorologie, en Allemagne, Joaquin Blanco et le professeur Rodrigo Caballero de l’Université de Stockholm, en Suède, et Sandrine Bony de l’Université de la Sorbonne, en France, ont également collaboré à cette étude.
Publication dans PNAS,