Université de Tel-Aviv : Prof. Deutscher, "les énergies renouvelables pour lutter contre la pollution et le réchauffement"

[:fr]

Le cercle vicieux de la croissance, de la pollution et du réchauffement climatique, le défi des énergies renouvelables et l’avenir de la biosphère, tels furent les thèmes brûlants abordés par le Prof. Guy Deutscher lors de la conférence-débat exceptionnelle qu’il a tenue mardi 12 décembre à l’Université de Tel-Aviv à l’invitation de l’Association des Amis Francophones de l’Université, face à un public captivé.

Deutscher1Le Prof. Ruth Amossy, professeur émérite de l’UTA et ancienne titulaire de la chaire de Culture française, introduit ensuite le conférencier. Le Prof. Guy Deutscher, ancien élève de l’Ecole des Mines de Paris, est titulaire d’un doctorat de la Faculté des Sciences d’Orsay. Il est actuellement professeur émérite de Physique de l’Université de Tel-Aviv où il a enseigné depuis 1971, fondé le laboratoire pour l’étude de la supraconductivité, a été titulaire de la chaire de physique expérimentale et premier directeur du Centre Gordon pour les Études de l’Énergie. Il a récemment participé au prestigieux colloque organisé au Collège de France à l’occasion de la Saison croisée 2018. Son dernier ouvrage s’intitule : « Quelle croissance pour un monde fini? « 

« La nécessité de développer des énergies renouvelables a émergé après la Guerre du Kippour en 1973, suite à l’embargo sur le pétrole déclaré par les pays arabes. Alors est née l’idée d’utiliser l’énergie solaire, qui existait déjà dans les satellites. Les premières cellules solaires ont donc été développées et employées dans l’espace. Mais pour les rendre utilisables sur terre, il fallait considérablement en abaisser le coût : ce fut le grand défi des physiciens de l’époque, et un énorme succès », rappelle-t-il.

Une situation paradoxale

Doud shemesh, Netanya (photo E. Amar)
Doud shemesh, Netanya (photo E. Amar)

Pendant longtemps, Israël est resté le pays le plus avancé dans le domaine de l’utilisation de l’énergie solaire, notamment grâce aux chauffe-eau sur les toits qui font partie de son paysage urbain. « Ceci en raison de la situation particulière du pays. Aucun pays arabe n’acceptant de lui vendre du pétrole. Aussi dès les années 50, Ben Gourion a-t-il fait appel à Harry Zvi Tabor, qui créa le Laboratoire national de Physique d’Israël et deviendra le père de l’énergie solaire. Depuis 1976, la loi israélienne oblige à installer un chauffe-eau solaire sur le toit de tout immeuble de moins de 12 étages », explique le Prof. Deutscher.

Pour le Prof. Deutscher, le monde se trouve aujourd’hui face à une situation paradoxale. D’une part, la thèse selon laquelle nous sommes menacés par un inévitable épuisement des ressources naturelles, développée par le Club de Rome en 1972, ne s’est pas réalisée : « dans les années 70, on pensait que la rareté des énergies fossiles, pétrole, gaz naturel et charbon, conduirait à une augmentation énorme de leur coût et à un effondrement subséquent de l’économie dans les années 2000. Mais cela ne s’est pas produit. Cependant, nous assistons bien aujourd’hui à un ralentissement de la croissance ».

Deutscher2Comment s’explique ce paradoxe ? Pour l’expliquer, le Prof. Deutscher développe sa propre thèse sur l’importance des énergies renouvelables. Selon lui, « si nous devons aujourd’hui sans aucun doute les développer, ce n’est pas parce que nous allons manquer de sources d’énergie traditionnelles, mais bien parce que c’est le seul moyen de lutter contre la pollution qui envahit notre monde, ainsi que contre d’autres manifestations de désordre dans la biosphère. En effet, le monde a aujourd’hui de nombreux sujets d’inquiétude: pollution de l’air, de l’eau, des sols et des aliments par le gaz carbonique et les microparticules, extinction de certaines espèces et instabilité du climat, qui se manifeste par des évènements d’origine climatique extraordinaires – inondations, feux de forêts… »

Un désordre moléculaire

Pour le Prof. Deutscher, ce désordre qui s’établit dans notre environnement trouve son origine dans le développement de l’entropie. Pour exemplifier cette loi fondamentale qui régit les échanges d’énergie dans l’univers, il donne l’exemple de l’eau froide et de l’eau chaude qui au lieu de couler séparément, se mélangent pour donner de l’eau tiède, ou encore des effluves d’un parfum qui s’échappent de la bouteille sans jamais y retourner. C’est Carnot qui, au début du 19e siècle, a jeté les bases de la thermodynamique, dont relève l’entropie.

« L’entropie est en fait un désordre moléculaire. Les rejets de gaz carbonique qui se répandent dans l’atmosphère à la surface de la planète en sont un bon exemple. Les molécules libérées ne restent pas en un seul endroit, elles ont au contraire la particularité de ce répandre partout dans l’atmosphère. C’est pourquoi il existe la même concentration de gaz carbonique au Pôle sud qu’à Pékin ».

Or pour arrêter ce désordre il faut stopper la croissance. C’est pourquoi, aux yeux du Prof. Deutscher, c’est le développement de l’entropie qui est en fait à l’origine de la faiblesse de la croissance. « Pendant 800 000 ans, la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère n’a jamais dépassé 280 ppm (ppm = partie par million, soit un centimètre cube de gaz par mètre cube d’air). Mais à partir des années 60, la concentration du CO2 dans l’atmosphère a commencé à augmenter de manière exponentielle : en quelques dizaines d’années, on est passé à 400 ppm. L’échelle de rapidité du changement dans l’atmosphère est plus qu’impressionnante. Pour revenir au niveau de CO2 d’avant la révolution pétrolière il faudra des dizaines de milliers d’années ».

Le soleil n’est plus en mesure de préserver l’équilibre de la biosphère

Mais plus grave encore, selon les études statistiques, cette expansion des molécules de gaz carbonique sur la terre est parallèle à la hausse des températures. « Le lien entre le rejet de gaz carbonique dans l’atmosphère et la hausse des températures est indiscutable. C’est un cercle vicieux : plus la température augmente, plus on allume l’air conditionné, mais plus on allume l’air conditionné, plus le rejet de gaz carbonique dans l’atmosphère et important, et on doit davantage refroidir ».

Dans la nature, l’équilibre se réajuste grâce au processus de photosynthèse, par lequel les feuilles des plantes captent le gaz carbonique et la lumière du soleil, puis produisent et rejette l’oxygène nécessaire à la vie. Or, avec l’augmentation des rejets de gaz carbonique, l’énergie reçue par le soleil n’est plus suffisante pour réaliser le processus : « L’équilibre s’est rompu avec le début de l’ère du pétrole, lorsque nous avons commencé à rejeter trop de gaz carbonique dans l’atmosphère. Le soleil n’est plus en mesure de préserver l’équilibre de la biosphère ».

Deutscher3Ce phénomène, note le chercheur, est inégal suivant les régions du monde: un Européen moyen consomme 5kw, un Américain 10kw, un Chinois 1kw et un soudanais 0.2kw. Cependant, selon lui, les économies réalisables au niveau de la consommation ménagère privée n’auront pas d’impact sur le plan global; les efforts doivent plutôt porter sur les grandes infrastructures comme les écoles, les hôpitaux, les routes, chemins de fer etc. C’est là qu’il faudrait réaliser des réductions drastiques pour arriver à une consommation globale moyenne optimale de 1kw. « Nous n’avons pas conscience du fait que nous vivons dans un environnement qui nous protège mais coûte très cher ».

Maintenant à un prix abordable et en développement dans le monde entier, la photovoltaïque (l’énergie solaire) pourrait-elle ‘booster’ la photosynthèse et ramener la biosphère à un équilibre ? La photovoltaïque, explique le chercheur, a un rendement plus élevé que la photosynthèse naturelle : « Une cellule solaire coûte aujourd’hui 100 fois moins cher qu’il y a 50 ans, progrès du en grand partie à la Chine. Mais le problème de ce type d’électricité est que nous ne savons pas la stocker. De plus, l’utilisation directe de l’énergie solaire est problématique dans des régions situées à des grandes latitudes au nord ou au sud, où l’hiver est très long. Par contre en Afrique, elle pourrait être utilisable tout de suite. Aussi c’est là que se joue l’avenir de la biosphère : avec plus d’un milliard d’habitants, l’Afrique représente la plus grande opportunité pour l’avenir, mais aussi le plus grand danger, si elle suit notre exemple ! »

Les physiciens ont des donc des solutions, mais la situation est dangereuse, conclue le Prof. Deutscher. Comment faire pour que l’Afrique ne suive pas notre chemin et ne mette pas le monde en danger ?

La conférence, qui a éveillé un vif intérêt parmi le public, a été suivie d’un débat animé, ou a notamment été abordée la question des autres sources d’énergie renouvelables alternatives, comme l’énergie éolienne et l’énergie maritime, ainsi que leurs limites.

La conférence a été introduite par Agnès Goldman, déléguée générale de l’Association, qui a présenté l’Université de Tel-Aviv, la plus grande d’Israël avec ses 29 000 étudiants, ses 9 facultés et plus de 3 500 recherches effectuées chaque année. Elle a également rappelé le but de l’Association : aider au financement de bourses pour les étudiants de l’université, « l’avenir de notre pays ».

Auteur : Sivan Cohen-Wiesenfeld, PhD, Rédac’chef de la newsletter des Amis français de l’Université de Tel Aviv – Tél: 03/6408769 – Mail – universite@gmail.com

—————

Lire aussi :

Conférence du Pr Deutscher : Energies renouvelables et pérennité des ressources naturelles, 11 déc. 2018 à Tel Aviv

[:]