Jacques Busbib, un franco-israélien au cœur du déploiement du champ solaire Ashalim. Interview.
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Jacques Busbib a de la chance. Cet ingénieur franco-israélien a dirigé la réalisation de l’immense champ solaire Ashalim situé dans le Néguev, et il vit à fond cette mission qui est aussi une passion. Présent dès la genèse du projet, “quand les tracteurs n’étaient pas encore sur le chantier”, il a conçu la structure, les procédures d’exécution et de communication avec les autres entreprises, en intégrant les différences culturelles, au sein d’une équipe internationale. Car ce type de projet fait appel à des compétences du monde entier. Le déploiement d’Ashalim, plus haute tour solaire du monde (240 m de haut), en plein désert du Néguev au Sud d’Israël, a été pour lui et continue d’être une expérience grandiose, inoubliable. Interview exclusive pour Israël Science Info.
Israël Science Info – Quel a été votre parcours ?
Jacques Busbib – J’ai grandi en France à Marseille. J’ai suivi des études d’ingénieur à l’INSA de Lyon en Génie Energétique. Après mon diplôme, j’ai passé deux ans au Maroc en tant qu’ingénieur conseil en climatisation pour un bureau d’études français, sur plusieurs projets, notamment à Casablanca, au palais du Roi du Maroc Hassan II. J’ai fait mon alyah en 1984 à Jérusalem et j’ai rejoint la compagnie LUZ Industries Israël, pionnière mondiale du développement de centrales solaires à grande échelle basées sur la technologie des paraboles. Après la construction de 8 centrales toujours opérationnelles, LUZ a fait faillite en 1991, ne pouvant pas faire face aux faibles prix de l’énergie à l’époque, comme de nombreuses sociétés du secteur. J’ai ensuite été Directeur de projets chez Baran Project Construction, Meissner-Baran, M+W Zander, dans l’industrie électronique et du semi-conducteur (Intel, Tower…). En 2006, BrightSource a été créée par le groupe de managers historiques de LUZ. J’ai rejoint l’équipe pour développer et déployer une nouvelle technologie basée sur une tour centrale et des milliers de miroirs contrôlés par ordinateur. J’ai dirigé le premier projet en 2008 : SEDC (Solar Energy Development Center) à Dimona en Israël, un prototype permettant de montrer que la technologie est viable. J’ai participé activement au développement du projet d’Ivanpah en Californie (3 stations pour un total de 377 MW). Puis j’ai été nommé Directeur de Projet (VP Project Management) de la station Ashalim pour BrightSource.
ISI – Le champ solaire Ashalim inaugure-t-il une transition énergétique radicale en Israël ?
JB – La station d’Ashalim a une capacité de 121 MW et alimente environ 120000 foyers. La station est actuellement opérationnelle et n’a pas encore atteint la production annuelle. Le but est de continuer à monter progressivement en production d’énergie pour atteindre 320 GWh de production annuelle. Ashalim couvre 1% des besoins en électricité d’Israël. Le problème en Israël est la disponibilité de grandes surfaces. C’est la condition essentielle pour installer de telles centrales solaires et pouvoir opérer une vraie transition énergétique. La construction de la station a été terminée en 2018 et formellement transférée au groupe d’opération et de maintenance en avril 2019. Les héliostats tiennent compte de la météo en temps réel, de la position du soleil et du vent. Ils communiquent les uns avec les autres pour optimiser la collecte du rayonnement et le bilan thermique du récepteur solaire. L’algorithme détermine la position optimale de chaque héliostat en tenant compte des conditions uniques de chaque site du projet. Le système de contrôle SFINCS gère la distribution de l’énergie à travers le récepteur solaire à l’aide de l’héliostat en temps réel et de la rétroaction en boucle fermée. Les systèmes météorologiques sur site et les caméras visuelles et infrarouges fournissent des informations en temps réel sur des algorithmes avancés de gestion de champ solaire. Un logiciel propriétaire d’optimisation et de contrôle optimise les performances du projet et l’efficacité de la production d’énergie. Les héliostats bougent d’une façon imperceptible tous ensemble, ils sont comme un orchestre.
ISI – Comment évolue la technologie CSP ?
JB – La technologie CSP Tower évolue sans arrêt. Le projet d’Ashalim ne comprenait pas de stockage d’énergie il était basé sur une chaudière à vapeur. L’eau chauffée par l’énergie solaire se transforme en vapeur surchauffée envoyée à une turbine pour production de l’électricité. Les nouvelles technologies CSP tower comprennent un stockage d’énergie par l’intermédiaire de deux réservoirs de sels fondus à différentes températures qui sont utilisés pour produire de la vapeur surchauffée par l’intermédiaire d’échangeurs de chaleurs et continuer le cycle de production d’électricité. Le stockage d’énergie permet de produire de l’électricité pendant la nuit pour des périodes de 12 à 16 heures et même plus. Elle peut stocker de l‘ energie thermique.
ISI – Le nettoyage des miroirs est-il durable ?
JB – Le nettoyage de miroirs a fait l’objet d’une intense activité de recherche et développement, nous avons testé une solution israélienne basée sur des tracteurs munis de brosses tournantes similaires aux tunnels de nettoyage des voitures. Mais cette solution s’est avérée très chère et plusieurs miroirs ont été brisés durant le processus de nettoyage. Le champ solaire est donc nettoyé manuellement à raison de 3000 héliostats par jour, soit un cycle de 17 jours pour un nettoyage complet du champ solaire. Ce n’est pas la meilleure solution car ce travail est physiquement très pénible. Heureusement BrightSource est à un stade avancé de développement d’une solution de nettoyage automatisé sans eau. Nous ne pourrons en parler qu’après la phase de tests et de validation de cette technologie.
ISI – Combien de projets opérationnels mène BrightSource ?
JB – BrightSource a trois projets opérationnels : SEDC Solar Energy Development Center à Dimona Israël. Ce site est un site de RetD de 6 MWTh qui a été utilisé par BrightSource pour développer les différentes générations d’héliostats ; IVANPAH, trois centrales pour un total de 377 MW en Californie ; ASHALIM, une centrale pour un total de 121 MW en Israël.
ISI – Dans quelles régions du monde Brightsource mène des projets ?
JB – Nous travaillons actuellement sur un projet à Dubaï où nous fournissons la technologie (systèmes de contrôle du champ solaires et plusieurs éléments critiques de la station). Nous sommes aussi actifs en Afrique du Sud où nous attendons les résultats d’un appel d’offres pour un grand projet qui doit démarrer dans les mois prochains. BrightSource est enregistrée an Californie où se trouve le Conseil d’Administration (Board of Directors). Tout le savoir faire, la technologie, les ingénieurs et la chaine d’approvisionnement sont dirigés depuis les bureaux de Jérusalem. L’entreprise compte 120 personnes situées à Jérusalem mais aussi en Chine, en Californie et à Londres. BrightSource Energy conçoit, développe et déploie la technologie de concentration solaire thermique pour produire vapeur de grande valeur pour les grandes centrales électriques du monde entier. BrightSource en est maintenant à la cinquième génération.
Propos recueillis par Esther Amar pour Israël Science Info
A noter : Ashalim a été conçu par le professeur David Faiman, directeur du Centre israélien national de l’énergie solaire à Sde Boker (Université Ben Gourion).
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